Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés financières insurmontables, les procédures collectives comme la sauvegarde, le redressement ou la liquidation judiciaires offrent un cadre légal pour gérer la situation. Toutefois, ce régime de droit commun, bien connu des entrepreneurs, ne s’applique pas tel quel aux acteurs du secteur financier. Banques, sociétés de financement ou entreprises d’assurance sont soumises à des règles spéciales, profondément dérogatoires. Cette spécificité n’est pas un simple détail technique : elle vise à protéger l’ensemble du système économique et les clients de ces établissements. Comprendre ces mécanismes est indispensable pour anticiper les conséquences d’une défaillance dans ce secteur. Cet article détaille les particularités des procédures collectives judiciaires applicables à ces entreprises, qui s’articulent avec un cadre juridique global bien plus large pour les entreprises réglementées en difficulté.
Pourquoi un régime dérogatoire au droit commun des procédures collectives ?
Le droit des entreprises en difficulté a pour objectif principal de préserver l’activité économique et l’emploi, tout en organisant le paiement des créanciers. Pour une entreprise classique, l’impact de la défaillance reste généralement circonscrit. Il en va tout autrement pour un établissement de crédit ou une compagnie d’assurance. La faillite d’un tel acteur peut déclencher une crise de confiance et, par un effet de contagion, déstabiliser l’ensemble du système financier. C’est ce qu’on appelle le risque systémique.
Pour parer à ce danger, le législateur a bâti un régime sur mesure. L’idée est d’intervenir bien plus en amont et avec des outils différents de ceux du droit commun. La surveillance est constante et exercée par des autorités dédiées, comme l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en France. Ces autorités disposent de pouvoirs considérables pour redresser une situation avant qu’elle ne devienne critique. Le traitement administratif des difficultés, par des mesures de police ou de résolution, a donc la primauté. La procédure judiciaire n’intervient souvent qu’en dernier ressort, lorsque toutes les autres solutions ont échoué, et elle reste, même à ce stade, très encadrée.
Les critères de défaillance adaptés
En droit commun, une entreprise est en état de cessation des paiements lorsqu’elle ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible. C’est une photographie de sa trésorerie à un instant T. Cette définition s’avère inadaptée à un établissement de crédit dont l’activité repose justement sur la transformation d’échéances, c’est-à-dire emprunter à court terme (les dépôts) pour prêter à long terme.
Cessation des paiements et insolvabilité
Le Code monétaire et financier a donc redéfini cette notion pour le secteur. Selon l’article L. 613-26, un établissement de crédit est en état de cessation des paiements lorsqu’il n’est pas « en mesure d’assurer ses paiements, immédiatement ou à terme rapproché ». La nuance est fondamentale. On ne se contente plus de regarder le passif déjà échu, on anticipe l’incapacité à honorer les engagements très proches, comme le remboursement des comptes courants ou des livrets d’épargne. Cela permet de déclencher la procédure plus tôt, face à une crise de liquidité imminente et non simplement constatée.
Pour ouvrir une procédure de liquidation judiciaire, un autre critère peut être retenu : l’insolvabilité. Ce n’est plus une question de liquidité, mais de structure du bilan. La liquidation peut être demandée si le passif de l’établissement est devenu supérieur à son actif, après déduction de certaines dettes (dites subordonnées) et constitution des provisions nécessaires. Cette situation traduit une perte de substance irrémédiable de l’établissement.
Liens avec le retrait d’agrément
L’activité d’une banque ou d’une entreprise d’investissement est conditionnée à l’obtention d’un agrément, délivré et surveillé par les autorités de contrôle (ACPR ou Banque Centrale Européenne). Le retrait de cet agrément est une sanction extrêmement grave ou la conséquence d’une situation financière dégradée. Juridiquement, le retrait d’agrément et l’ouverture d’une procédure collective sont deux choses distinctes. Une entreprise peut se voir retirer son agrément sans être immédiatement en liquidation judiciaire.
Cependant, en pratique, les deux sont souvent liés. Le retrait d’agrément est une décision qui précède fréquemment la constatation de la cessation des paiements. Par ailleurs, la loi prévoit que la liquidation judiciaire d’un établissement de crédit entraîne sa radiation et donc, de fait, la perte de son agrément. Ces procédures judiciaires s’articulent étroitement avec les mécanismes administratifs pilotés par le superviseur, notamment les procédures de résolution et de rétablissement gérées par l’ACPR, qui visent justement à éviter la liquidation pure et simple.
L’ouverture et le déroulement des procédures : des aménagements substantiels
Dans une procédure de droit commun, le tribunal de commerce est souverain pour décider d’ouvrir ou non une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation. Pour une entreprise réglementée, cette souveraineté est encadrée. L’article L. 613-27 du Code monétaire et financier est très clair : aucune de ces procédures ne peut être ouverte sans l’avis conforme de l’ACPR.
L’avis conforme de l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution
Cet avis est une condition de recevabilité de la demande. Si le tribunal n’a pas sollicité et obtenu cet avis, il ne peut statuer. Bien que le tribunal ne soit pas juridiquement lié par le sens de l’avis de l’ACPR (par exemple, si l’ACPR recommande une liquidation et que le juge préfère un redressement), son poids pratique est immense. Ignorer l’avis de l’autorité de surveillance serait une décision audacieuse, car l’ACPR conserve ses propres pouvoirs, comme celui de prononcer la radiation de l’établissement, ce qui conduirait inéluctablement à sa liquidation.
La répartition des pouvoirs entre mandataires judiciaires et liquidateurs ACPR
Une autre grande spécificité réside dans la coexistence des organes de la procédure désignés par le tribunal et de ceux nommés par l’ACPR. Cette dualité entraîne une répartition des pouvoirs minutieusement organisée par la loi.
En cas de redressement judiciaire, si l’ACPR a déjà nommé un administrateur provisoire, le rôle de l’administrateur judiciaire désigné par le tribunal sera limité à une simple mission de surveillance. Il ne pourra pas s’immiscer dans la gestion, qui reste entre les mains de l’organe nommé par l’ACPR.
La situation est encore plus nette en cas de liquidation judiciaire. Le tribunal nomme un liquidateur judiciaire, comme dans toute procédure. Mais l’ACPR nomme de son côté son propre liquidateur. Leurs tâches sont clairement scindées. Le liquidateur nommé par l’ACPR est chargé des opérations de liquidation pure : il réalise l’inventaire des actifs et procède à leur vente. Le liquidateur judiciaire, lui, représente les créanciers. Sa mission consiste principalement à vérifier le passif (les dettes), à établir l’ordre des créanciers et à exercer les actions en justice en leur nom. Concrètement, l’un vend les biens, l’autre s’occupe de répartir l’argent récolté.
Les spécificités pour les entreprises d’assurance
Les entreprises d’assurance suivent un régime qui, s’il est proche de celui des banques, présente des caractéristiques propres. L’état de cessation des paiements, tel que défini pour les banques, ne leur est pas applicable. Le droit commun s’applique en principe, mais avec des aménagements qui donnent, là encore, un rôle central à l’ACPR.
Ouverture des procédures et rôle de l’ACPR
En effet, pour demander l’ouverture d’une liquidation judiciaire lorsque le redressement est manifestement impossible, l’ACPR dispose d’une compétence quasi exclusive. Le tribunal peut se saisir d’office ou être saisi par le procureur, mais toujours après avoir recueilli l’avis conforme de l’ACPR. Plus encore, le retrait total de l’agrément d’une entreprise d’assurance par l’ACPR emporte de plein droit sa dissolution. Dans ce cas, la liquidation judiciaire est une conséquence automatique que le tribunal est tenu de prononcer à la demande de l’ACPR. La décision de l’autorité de contrôle est ici une condition suffisante, la cessation des paiements n’ayant pas à être démontrée.
Sort des contrats d’assurance et des primes
La défaillance d’un assureur soulève une question essentielle pour ses clients : que deviennent les contrats en cours ? La loi organise leur sort différemment selon la nature de l’assurance.
Pour les contrats d’assurance non-vie (assurance auto, habitation, responsabilité civile, etc.), la règle est une résiliation automatique. Les contrats cessent de produire leurs effets le quarantième jour à midi, suivant la publication de la décision de retrait d’agrément. Attention, les primes échues avant cette date restent entièrement dues, même si la période de garantie est écourtée. Cette règle peut surprendre, mais elle a été confirmée par les tribunaux. L’assuré doit donc rapidement trouver un nouvel assureur pour ne pas rester sans couverture.
Pour les contrats d’assurance-vie, la situation est plus complexe. Le liquidateur peut, avec l’accord du juge, suspendre le paiement des sommes dues (rachats, avances). L’ACPR peut ensuite intervenir pour organiser un transfert du portefeuille de contrats à une autre compagnie, ou décider d’une réduction des engagements pour les ramener au niveau de ce que la liquidation permet de couvrir. Ces mécanismes visent à préserver au mieux l’épargne des assurés, en articulation avec les systèmes de garantie et d’indemnisation qui protègent les clients.
Les cas d’extension de procédure
Le droit des procédures collectives prévoit des mécanismes dits « d’extension ». Si une société en liquidation a entretenu des relations financières anormales avec une autre société (par exemple, sa société mère) au point que leurs patrimoines sont devenus impossibles à distinguer (on parle de confusion des patrimoines), ou si la société en difficulté n’était qu’une façade (fictivité), le tribunal peut étendre la procédure de liquidation à cette autre société. Celle-ci se retrouve alors entraînée dans la faillite.
Ces règles sont-elles applicables dans le cadre très spécifique du secteur financier ? La réponse est oui, en principe. Une procédure collective ouverte contre une entreprise d’investissement pourrait être étendue à sa holding si les conditions de la confusion ou de la fictivité sont réunies. Cependant, le législateur a prévu des exceptions notables pour protéger la stabilité de certains montages. C’est le cas pour les sociétés de crédit foncier, qui émettent des obligations sécurisées (les obligations foncières). L’article L. 513-20 du Code monétaire et financier interdit expressément d’étendre la procédure collective de leur société mère à ces sociétés, afin de garantir aux investisseurs que les actifs dédiés au remboursement de ces obligations ne seront jamais affectés par les difficultés du reste du groupe.
La gestion des difficultés d’une entreprise réglementée est une matière juridique d’une grande complexité, où les règles du droit commun sont systématiquement aménagées, voire écartées, au profit de dispositions spéciales. L’imbrication des procédures administratives menées par l’ACPR et des procédures judiciaires pilotées par le tribunal, la redéfinition des critères de défaillance et la répartition atypique des pouvoirs entre les intervenants créent un environnement juridique unique. Naviguer dans ce cadre exige une expertise des textes spécifiques au secteur financier et bancaire. Pour une analyse de votre situation et un conseil adapté à ces enjeux, notre équipe d’avocats compétents en la matière se tient à votre disposition, y compris pour une expertise juridique approfondie des procédures collectives spécifiques aux entreprises réglementées.
Sources
- Code de commerce
- Code monétaire et financier
- Code des assurances