Obtenir l’autorisation d’exercer la profession de transporteur routier de marchandises, comme nous l’avons vu dans notre article sur les conditions d’accès à la profession, n’est que la première étape. Une fois votre entreprise créée et votre licence en poche, il faut comprendre et maîtriser les règles qui encadrent les déplacements de vos véhicules. Loin d’être anarchique, la circulation des poids lourds est soumise à un ensemble complexe de réglementations qui varient selon que le transport s’effectue sur le territoire national, au sein de l’Union Européenne ou en relation avec des pays tiers. De plus, des restrictions spécifiques existent pour des raisons de sécurité ou de gestion du trafic. Cet article vise à éclaircir les principales règles régissant la circulation et les opérations de transport.
Les transports sur le territoire français
Le cadre général des opérations de transport purement internes au territoire français est défini principalement par la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) et le Code des transports.
Le principe de liberté pour les transporteurs établis en France
Contrairement au transport de voyageurs, qui peut être soumis à des obligations de service public ou à des autorisations spécifiques pour certaines lignes, le transport de marchandises pour compte d’autrui par une entreprise française sur le territoire national est fondé sur un principe de liberté. L’entreprise détermine librement ses itinéraires, ses horaires, ses points de chargement et de livraison, dans le respect bien sûr des règles générales de circulation et du cadre contractuel défini avec son client. Aucune autorisation spécifique n’est requise pour un trajet donné, dès lors que l’entreprise est dûment inscrite au registre et détient une licence valide (intérieure ou communautaire).
Le cabotage : quand un transporteur européen peut-il opérer en France ?
Le marché français n’est cependant pas réservé aux seules entreprises françaises. En vertu des principes de libre prestation de services de l’Union Européenne, les transporteurs établis dans un autre État membre peuvent réaliser des opérations de transport à l’intérieur du territoire français. C’est ce qu’on appelle le cabotage routier.
- Définition et cadre légal : Le cabotage désigne un transport national pour compte d’autrui effectué à titre temporaire dans un État membre d’accueil par un transporteur établi dans un autre État membre. Initialement régi par le règlement (CEE) n° 3118/93, il est aujourd’hui encadré par le règlement (CE) n° 1072/2009 (qui fait partie du « Paquet Routier »). Pour pouvoir effectuer du cabotage, le transporteur doit être titulaire d’une licence communautaire valide.
- Conditions strictes : Le règlement européen autorise le cabotage, mais de manière limitée pour éviter une concurrence déloyale basée sur des différences de coûts sociaux ou fiscaux. Un transporteur non-résident peut effectuer jusqu’à trois opérations de cabotage consécutives à un transport international entrant dans l’État membre d’accueil (la France, en l’occurrence). Ces trois opérations doivent être réalisées dans un délai de sept jours à compter du déchargement final du transport international.
- Règles françaises et interprétation : La France, comme d’autres États, a interprété la notion de « temporaire ». La loi française (LOTI) précise qu’un transporteur non-résident ne peut se prévaloir du règlement européen s’il exerce en France une activité de transport intérieur de façon habituelle, continuelle ou régulière, ou s’il opère depuis des locaux ou infrastructures situés sur le territoire national. Dans ce cas, il serait considéré comme devant s’établir en France et respecter toutes les conditions d’accès à la profession applicables aux entreprises résidentes.
- Documents et contrôles : La preuve du caractère licite du cabotage repose principalement sur les documents de transport (lettre de voiture internationale prouvant le transport entrant, lettres de voiture pour chaque opération de cabotage) qui doivent permettre de vérifier le respect des délais et du nombre d’opérations.
- Sanctions : Le cabotage réalisé en dehors des conditions prévues par le règlement européen est considéré comme un exercice illégal de transport et est lourdement sanctionné pénalement et administrativement.
Les transports au sein de l’Union Européenne
Les échanges de marchandises entre les États membres de l’UE représentent un volume considérable. La politique commune des transports vise à faciliter ces flux.
La libre prestation de services pour les transports internationaux intra-UE
Le principe fondamental est la liberté pour un transporteur établi dans un État membre d’effectuer des transports de marchandises par route au départ ou à destination d’un autre État membre, ou en transit à travers un ou plusieurs États membres. Cette liberté est garantie par le règlement (CE) n° 1072/2009.
L’accès au marché des transports internationaux intra-UE n’est plus soumis à des contingents (quotas) depuis les années 90. Il repose uniquement sur des critères qualitatifs, vérifiés lors de la délivrance de la licence communautaire. Une entreprise française titulaire de cette licence peut donc librement transporter des marchandises entre la France et l’Allemagne, mais aussi, par exemple, entre l’Espagne et la Pologne, sans avoir besoin d’autorisations spécifiques de ces pays pour le trajet lui-même.
Les clauses de sauvegarde (exceptionnelles)
Même si le principe est la liberté, des mécanismes de sauvegarde existent (hérités des règlements antérieurs) pour faire face à d’éventuelles crises graves du marché dues à un déséquilibre soudain entre l’offre et la demande. Ces mesures, qui pourraient restreindre temporairement l’accès au marché, ne peuvent être déclenchées que par la Commission européenne à la demande d’un État membre et sont d’application très rare dans le contexte actuel du marché intérieur.
Impact des réseaux transeuropéens
Pour fluidifier ces échanges, l’UE encourage le développement des Réseaux Transeuropéens de Transport (RTE-T). Il s’agit de projets d’infrastructures (autoroutes, voies ferrées, voies navigables, ports, aéroports) visant à améliorer les connexions entre les États membres et à supprimer les goulots d’étranglement. Ces développements ont un impact direct sur l’efficacité et les itinéraires des transports routiers internationaux.
Les transports avec les pays tiers
Lorsque les opérations de transport impliquent des pays situés en dehors de l’Union Européenne (ou de l’EEE et la Suisse, qui ont des accords spécifiques), le principe de liberté ne s’applique plus de la même manière. La souveraineté des États reprend ses droits.
Nécessité d’autorisations spécifiques
En règle générale, un transporteur français souhaitant effectuer un transport à destination, en provenance ou en transit par un pays tiers (ex: Maroc, Serbie, Ukraine, Royaume-Uni post-Brexit selon les accords en vigueur) doit obtenir une autorisation de transport de la part de ce pays. De même, un transporteur d’un pays tiers souhaitant opérer sur le territoire français (y compris en transit) doit détenir une autorisation délivrée par les autorités françaises ou dans le cadre d’accords internationaux. La simple licence communautaire n’est pas suffisante pour ces trajets.
Le système des autorisations CEMT
La Conférence Européenne des Ministres des Transports (CEMT, devenue Forum International des Transports – FIT) est une organisation intergouvernementale qui couvre une zone géographique plus large que l’UE. Elle gère un système d’autorisations multilatérales contingentées qui permettent aux transporteurs des pays membres (dont la France) d’effectuer des transports internationaux entre ces pays. Les entreprises françaises peuvent solliciter ces autorisations CEMT (souvent annuelles et soumises à des critères stricts liés notamment aux normes environnementales des véhicules – EURO V, EURO VI) auprès du ministère chargé des transports. Ces autorisations sont très demandées car elles offrent une grande flexibilité.
Les accords bilatéraux
En dehors du système CEMT ou pour les pays non-membres, les autorisations de transport reposent sur des accords bilatéraux conclus entre la France et le pays tiers concerné. Ces accords fixent les conditions d’accès réciproque au marché et prévoient souvent des contingents annuels d’autorisations (au voyage, temporaires…). La gestion de ces autorisations bilatérales est également assurée par le ministère français chargé des transports.
Procédure et contrôle
L’obtention de ces autorisations (CEMT ou bilatérales) nécessite de remplir des dossiers spécifiques et de justifier de son activité internationale. Les autorisations obtenues doivent impérativement se trouver à bord du véhicule lors du transport concerné et sont contrôlées aux frontières ou sur le territoire par les autorités compétentes (douanes, police, DREAL…). L’absence d’autorisation valide constitue une infraction grave.
Les restrictions générales de circulation
Même lorsqu’une entreprise a le droit d’effectuer un transport, la circulation de ses véhicules peut être soumise à des restrictions pour des motifs d’ordre public, de sécurité, de protection de l’environnement ou de gestion du trafic. Vous trouverez une vue d’ensemble de la réglementation incluant ces aspects sur notre blog.
Interdictions de circuler (temps et zones)
En France, la circulation des véhicules de transport de marchandises de plus de 7,5 tonnes de Poids Total Autorisé en Charge (PTAC) est interdite :
- Du samedi 22h au dimanche 22h.
- Des veilles de jours fériés 22h aux jours fériés 22h.
Des interdictions complémentaires s’appliquent pendant certaines périodes :
- En été : Des samedis spécifiques (généralement 5 samedis entre mi-juillet et mi-août) font l’objet d’une interdiction étendue de 7h à 19h, en plus de l’interdiction du samedi soir au dimanche soir. Les dates exactes sont fixées par arrêté ministériel chaque année.
- En hiver : En région Rhône-Alpes, des interdictions spécifiques peuvent s’ajouter certains samedis sur des axes définis (souvent liés aux départs/retours de stations de ski).
- En Île-de-France : Des restrictions spécifiques plus contraignantes existent sur le réseau francilien (interdictions renforcées certains jours et heures, notamment sur le périphérique et les autoroutes radiales).
Des dérogations permanentes existent pour certains types de transports (denrées périssables, animaux vivants, déménagements sous conditions, etc.) et des dérogations temporaires peuvent être accordées par les préfets dans des cas exceptionnels.
Cas des marchandises dangereuses
Le transport de matières dangereuses (TMD) fait l’objet d’une réglementation internationale très stricte (Accord ADR) et de règles nationales spécifiques. En plus des obligations liées à l’emballage, au véhicule et à la formation du conducteur, des restrictions de circulation peuvent s’appliquer : interdictions sur certains itinéraires (tunnels, agglomérations), horaires de circulation limités, obligations d’emprunter des itinéraires spécifiques (réseau « TMD »).
Restrictions en zone urbaine (Plans de Déplacements Urbains – PDU/PDM)
Les autorités locales (communes, métropoles) ont la compétence pour organiser la circulation dans leur périmètre, notamment via les Plans de Mobilité (anciennement PDU). Ces plans peuvent inclure des mesures spécifiques pour le transport de marchandises afin de limiter la congestion et la pollution :
- Zones à Circulation Restreinte (ZCR) ou Zones à Faibles Émissions (ZFE) interdisant l’accès aux véhicules les plus polluants (selon la vignette Crit’Air).
- Restrictions horaires pour les livraisons.
- Aires de livraison dédiées.
- Limitations de tonnage ou de gabarit sur certaines voies.
Il est essentiel pour les transporteurs de se renseigner sur les règles spécifiques applicables dans les agglomérations desservies.
Sanctions
Le non-respect des interdictions et restrictions de circulation (horaires, itinéraires, zones, tonnage…) est sanctionné par des contraventions (généralement de 4ème classe) et peut entraîner l’immobilisation du véhicule.
Maîtriser les règles de circulation est aussi important que de remplir les conditions d’accès à la profession. Que ce soit pour opérer en France, en Europe ou au-delà, chaque contexte géographique a ses spécificités : liberté encadrée du cabotage, nécessité d’autorisations internationales, respect des interdictions horaires ou zonales. La complexité et l’évolution constante de ces règles nécessitent une veille juridique et une organisation rigoureuse des opérations.
Naviguer entre les différentes réglementations de circulation peut être complexe. Contactez notre cabinet pour assurer la conformité de vos opérations de transport.
Sources
- Loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs (LOTI), modifiée.
- Code des transports.
- Code de la route (notamment articles R411-18 et L325-1 à L325-3).
- Règlement (CE) n° 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route.
- Arrêtés ministériels relatifs aux interdictions de circulation des véhicules de transport de marchandises à certaines périodes (consultables sur Légifrance, mis à jour annuellement).
- Accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par route (ADR).
- Résolutions et documentation de la Conférence Européenne des Ministres des Transports (CEMT) / Forum International des Transports (FIT) relatives aux autorisations multilatérales.