Femme préoccupée discutant avec un conseiller bancaire, tenant un document lié à une saisie-attribution de compte en France.

Saisie-attribution bancaire : décryptage technique de la détermination du solde saisissable et l’apurement des opérations selon l’article l. 162-1 cpce

Table des matières

La saisie-attribution sur un compte bancaire est une procédure d’exécution qui, malgré son apparente simplicité, recèle une technicité juridique et comptable considérable. Pour le créancier, elle représente une voie de recouvrement efficace. Pour le débiteur, elle signifie le blocage de ses avoirs et une intrusion dans sa situation financière personnelle. Mais pour la banque, en sa qualité de tiers saisi, elle inaugure une période de responsabilité intense où chaque étape est dictée par la loi. Au cœur de ce mécanisme se trouve l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), un texte dense qui organise la détermination du solde réellement disponible pour le créancier. Cet article se propose de décrypter les rouages de cette opération complexe, en se concentrant sur les obligations du banquier et le processus d’apurement des opérations qui transforment le solde apparent du jour de la saisie en solde définitivement saisissable. Avant d’entrer dans le détail technique du calcul du solde saisissable, il est essentiel de maîtriser la démarche générale de la procédure de saisie-attribution, qui constitue une voie d’exécution redoutable pour le créancier.

Introduction aux spécificités de la saisie-attribution sur comptes bancaires

La saisie d’un compte bancaire n’est pas une simple photographie du solde à un instant T. C’est un processus dynamique qui doit figer une situation comptable par nature fluctuante. La législation, issue des grandes réformes des procédures civiles d’exécution, a dû concilier la logique du droit de l’exécution, qui exige une créance certaine et déterminée, avec la réalité du fonctionnement d’un compte bancaire, où de multiples opérations sont constamment en cours de traitement.

Cadre législatif et rôle du banquier tiers saisi

La réglementation actuelle, principalement contenue dans les articles L. 162-1 et L. 162-2 du CPCE, a été conçue pour résoudre trois problèmes fondamentaux. Premièrement, comment arrêter le flux des opérations pour déterminer le montant exact de la créance saisissable ? Deuxièmement, comment traiter les sommes versées sur le compte qui proviennent de créances légalement insaisissables (une partie du salaire, certaines prestations sociales) sans que l’inscription en compte leur fasse perdre cette protection ? Troisièmement, comment garantir à la personne débitrice un minimum vital pour subvenir à ses besoins élémentaires, ce qui a donné naissance au Solde Bancaire Insaisissable (SBI), un montant forfaitaire laissé sur le compte (actuellement 635,71 euros au 1er avril 2024) pour faire face à toute dépense alimentaire urgente ? Dans ce cadre, le banquier n’est pas un simple détenteur de fonds ; la loi lui confère un rôle actif d’auxiliaire de l’exécution. C’est lui qui calcule, déclare, apure et met à disposition les fonds, engageant ainsi sa responsabilité à chaque étape. Il en va de même lors d’une saisie administrative à tiers détenteur (SATD), anciennement avis à tiers détenteur, diligentée par une administration comme le Trésor public. Souvent, la saisie-attribution est l’aboutissement d’une mesure conservatoire préalable, dont la conversion en mesure d’exécution obéit à des règles strictes pour garantir les droits du débiteur.

Déclaration du solde des comptes au jour de la saisie : obligations et sanctions du tiers saisi

La première mission de la banque, dès la signification de l’acte de saisie par un commissaire de justice, est une obligation d’information. Elle doit déclarer sur-le-champ le solde de l’ensemble des comptes du débiteur. Cette déclaration constitue la base de calcul, mais elle n’est que provisoire, car le procès verbal de saisie que le commissaire délivre ne fige qu’un instantané qui sera ensuite ajusté par l’apurement des transactions en cours. Le manquement de la banque à ses obligations de déclaration peut non seulement engager sa responsabilité mais aussi, dans certains cas, participer à caractériser une saisie abusive si le créancier a agi de manière fautive.

L’étendue de l’obligation : tous les comptes du débiteur et leur nature

L’obligation de déclaration est large. La banque doit communiquer les soldes de tous les comptes de sommes d’argent ouverts au nom du débiteur dans ses livres, sans exception. Cela inclut les comptes de dépôt, les comptes courants, que la personne soit un particulier ou un professionnel, les comptes sur livret ou les plans d’épagne. Fait notable, l’obligation persiste même pour les comptes présentant un solde débiteur. L’établissement bancaire ne peut se retrancher derrière le secret professionnel, la loi prévoyant expressément sa levée dans ce contexte. Pour chaque compte, la banque doit en préciser la nature (compte individuel, compte joint, compte professionnel, etc.), une information capitale pour déterminer l’étendue des droits du créancier.

Conventions de compensation et comptes collectifs : complexités et précisions doctrinales

La situation se complexifie en présence de plusieurs comptes ou de plusieurs titulaires. Si une convention d’unité de compte (ou « lettre de fusion ») a été signée avant la saisie, la banque peut opérer une compensation entre les soldes créditeurs et débiteurs des différents comptes de la personne débitrice. Elle ne déclarera alors qu’un solde global unique. Pour être opposable au créancier saisissant, cette convention doit avoir été déclarée. Pour les comptes collectifs, comme le compte joint, la saisie pratiquée du chef d’un seul des cotitulaires produit ses effets sur la totalité du solde créditeur. La solidarité active, propre au compte joint, autorise en effet chaque titulaire à disposer de l’intégralité des fonds. La jurisprudence considère que cet effet s’étend au créancier saisissant. La doctrine récente souligne qu’il appartient alors à l’autre cotitulaire, informé de la saisie, de prouver de manière rigoureuse que tout ou partie des fonds lui sont propres pour les soustraire à l’emprise du créancier, par exemple en justifiant de sa situation familiale et de l’origine exclusive de ses revenus.

L’obligation de communiquer les pièces justificatives et les sanctions associées

Au-delà de la simple déclaration des soldes, le banquier est tenu de communiquer à l’huissier les pièces justificatives. La jurisprudence a toutefois limité cette obligation pour protéger la vie privée de la personne débitrice : la banque n’a pas à fournir un relevé détaillé des opérations antérieures. Elle doit en revanche justifier l’existence d’une éventuelle convention de fusion de comptes. Il faut distinguer les sanctions. Le défaut de déclaration ou une déclaration sciemment mensongère est lourdement sanctionné : la banque peut être condamnée à payer elle-même les causes de la saisie, en plus d’éventuels frais de justice. En revanche, le simple manquement à l’obligation de communiquer les pièces justificatives n’engage sa responsabilité que pour le préjudice réellement causé au créancier, ce qui donne lieu à l’allocation de dommages-intérêts, comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 6 mai 2004).

Apurement des opérations en cours : la liquidation du solde saisissable selon l’article l. 162-1 cpce

Une fois le solde initial déclaré, s’ouvre une phase cruciable et technique : l’apurement des opérations. L’article L. 162-1 du CPCE établit une liste limitative des transactions, antérieures à la saisie mais non encore comptabilisées, qui viendront modifier ce solde à la hausse ou à la baisse. Cette liquidation s’effectue dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la saisie, période durant laquelle les fonds sont totalement indisponibles.

Opérations au crédit : remises de chèques, effets de commerce et virements

Le solde déclaré doit être augmenté des remises de chèques ou d’effets de commerce (lettres de change, billets à ordre) effectuées avant la saisie mais non encore créditées. Il en va de même pour un virement émis en faveur du débiteur avant la saisie. La jurisprudence considère en effet que la créance est née dès l’ordre de virement, même si son inscription effective en compte est postérieure à la saisie (Cass. 2e civ., 28 mai 2003). Ces transactions profitent donc au créancier saisissant en augmentant l’assiette de sa saisie.

Opérations au débit : chèques impayés, retraits distributeurs et paiements par carte

À l’inverse, certaines transactions antérieures viennent diminuer le solde. La loi vise expressément les chèques crédités « sauf bonne fin » avant la saisie et qui reviennent impayés après. Sont également déduits les retraits aux distributeurs automatiques et les paiements par carte, à la condition que leur date soit prouvée comme étant antérieure à l’heure de la saisie faite et que le bénéficiaire du paiement ait été effectivement crédité avant cette même heure. Le critère déterminant est toujours l’antériorité de l’opération par rapport à la saisie elle-même, et non sa date de traitement comptable par la banque.

Contre-passation des effets escomptés et particularités des cartes à débit différé

Le législateur a prévu des règles spécifiques pour certains instruments. Pour les effets de commerce remis à l’escompte avant la saisie et qui reviennent impayés, la banque dispose d’un délai exceptionnel d’un mois pour les contre-passer, c’est-à-dire pour débiter le compte du montant correspondant. Cette règle protège le banquier qui a consenti un crédit au débiteur sur la base de cet effet. Le cas des paiements par carte à débit différé est plus controversé. La doctrine s’interroge sur le point de savoir si un paiement effectué avant la saisie, mais dont le débit contractuel est prévu en fin de mois (donc après la saisie), peut être imputé au détriment du créancier. L’article L. 162-1 CPCE semble l’autoriser, conférant un avantage certain à la banque. La jurisprudence récente veille cependant à sanctionner une mauvaise application de ces règles complexes. Le créancier a alors une action en responsabilité contre la banque, comme cela a été le cas pour une imputation incorrecte d’un paiement par carte à débit différé, causant un préjudice au créancier saisissant qui s’est vu privé d’une partie des fonds qui auraient dû lui revenir (Cass. 2e civ., 15 mai 2024).

Interprétation de l’alinéa 4 de l’article l. 162-1 cpce : le sort des sommes post-saisie

L’alinéa 4 de l’article est d’une rédaction particulièrement complexe et son interprétation est débattue. Il semble prévoir un mécanisme d’imputation particulier lorsque le résultat cumulé des opérations d’apurement est négatif. Selon une interprétation, ce solde négatif s’imputerait en priorité sur les « sommes non frappées par la saisie », c’est-à-dire les fonds crédités sur le compte après la saisie . Cette règle, dérogatoire au principe de l’effet instantané de la saisie, permettrait à la banque de se rembourser des opérations débitrices antérieures sur de « l’argent frais », protégeant ainsi l’assiette initiale revenant au créancier. Cette disposition illustre la technicité de la matière et la nécessité d’une analyse fine des textes pour en saisir toutes les implications.

Régime transitoire d’indisponibilité des comptes saisis : portée, durée et aménagements

Pendant toute la phase de liquidation des opérations en cours, la loi impose un régime strict pour garantir les droits du créancier : l’indisponibilité totale et générale de tous les comptes du débiteur. Cette mesure, d’une grande rigueur, peut toutefois être aménagée.

La règle de l’indisponibilité générale des fonds et sa computation

L’acte de saisie rend indisponible l’ensemble des comptes de la personne débitrice, même ceux dont le solde créditeur excède largement le montant de la créance réclamée. Cette indisponibilité dure quinze jours ouvrables, délai porté à un mois si des effets de commerce ont été escomptés. Durant cette période, aucun de ses moyens de paiement ne peut fonctionner, et même son accord pour payer le créancier par anticipation est sans effet. Le calcul de ce délai se fait en jours ouvrables, ce qui signifie que les samedis, dimanches et jours fériés ne sont pas comptabilisés.

Aménagements de l’indisponibilité : cantonnement et garantie irrévocable

Face à la sévérité de cette mesure, des aménagements sont possibles. Le créancier, une fois informé par la banque des soldes disponibles, peut décider de limiter l’effet de la saisie à un ou plusieurs comptes, libérant ainsi les autres. C’est ce qu’on appelle le cantonnement. La personne débitrice n’est pas démunie face à l’indisponibilité, et peut contester la mesure et solliciter une limitation de ses effets par une décision du Juge de l’Exécution (JEX), qui dispose de pouvoirs étendus pour contrôler la mesure. Par ailleurs, le débiteur peut obtenir la mainlevée totale de l’indisponibilité s’il constitue une garantie irrévocable (comme une caution bancaire) pour le montant des sommes réclamées par le créancier.

Prélèvements de sommes insaisissables et gestion des fonds de tiers : une approche spécifique

La saisie ne doit pas priver la personne débitrice de ses moyens de subsistance ni porter atteinte aux droits des tiers. La loi organise un équilibre délicat entre les droits du créancier et la protection du débiteur, notamment en sanctuarisant certaines sommes pour garantir sa subsistance et sa dignité.

Mise à disposition des créances insaisissables : principe, demande et délais

Lorsqu’un compte est alimenté par des créances légalement insaisissables (allocations familiales, pensions de retraite, pension alimentaire, indemnités de chômage versées par France Travail, etc.), le caractère insaisissable de ces minima sociaux se reporte sur le solde du compte. Sur demande et justification de l’origine des fonds, la personne saisie peut obtenir la mise à disposition de ces sommes, dont le montant est supérieur au SBI. La loi distingue les créances périodiques (comme un salaire), qui peuvent être mises à disposition immédiatement, des créances non périodiques (comme une indemnité de licenciement), pour lesquelles la mise à disposition est différée après la période d’apurement. Au-delà du calcul technique du solde, la banque a un rôle crucial pour protéger les fonds insaisissables et les mettre à disposition du débiteur selon des modalités précises et contraignantes.

Protection des fonds propres de tiers sur comptes conjoints et professionnels

La protection s’étend aux fonds n’appartenant pas au débiteur saisi. Sur un compte joint alimenté par les gains et salaires de l’époux commun en biens, ce dernier peut exiger qu’une somme équivalente à son dernier salaire (ou à la moyenne des douze derniers) soit laissée à sa disposition, pour préserver sa situation personnelle. De même, la saisie du compte professionnel d’un agent immobilier ou d’un notaire ne peut en principe pas appréhender les fonds appartenant à leur clientèle. La jurisprudence exige cependant que ces fonds de tiers soient clairement individualisés sur un compte spécial pour échapper à la saisie, afin d’éviter toute confusion de patrimoine.

La signification électronique des actes de saisie et les défis de la territorialité

L’évolution technologique a transformé la pratique des saisies, la signification par voie électronique, en ligne, étant devenue la norme pour les établissements bancaires. Cette dématérialisation n’est pas sans conséquence sur les obligations du banquier et a permis de résoudre certaines controverses anciennes.

Modalités de signification et délais de communication des renseignements

Lorsque l’acte de saisie est signifié par voie électronique, la banque doit répondre par la même voie et dispose d’un délai d’un jour ouvré pour communiquer les renseignements et pièces justificatives. En cas de signification « papier » traditionnelle, la réponse doit en principe être fournie « sur-le-champ », une exigence qui donnait lieu à un contentieux abondant sur l’appréciation du caractère raisonnable du délai de réponse de la banque, compte tenu de son organisation interne.

Controverses sur la portée territoriale de la saisie : siège social vs. agence

La signification traditionnelle posait la question de la portée de la saisie lorsqu’elle était adressée à une simple agence plutôt qu’au siège social. La jurisprudence a longtemps considéré que l’agence n’était tenue de déclarer que les comptes qu’elle gérait elle-même, obligeant le créancier à s’adresser au siège pour une information complète. La généralisation de la signification électronique, adressée à l’entité juridique de la banque dans son ensemble, a largement contribué à rendre cette controverse obsolète, l’établissement étant désormais tenu de déclarer tous les comptes du débiteur, quelle que soit leur domiciliation.

La détermination du solde saisissable est un exercice juridique et comptable qui requiert une grande rigueur de la part du banquier. Loin d’être un simple exécutant, il est un acteur central dont la diligence et l’expertise garantissent la sécurité juridique de la procédure pour toutes les parties. La juste application de l’article L. 162-1 CPCE est un enjeu majeur qui requiert une véritable expertise en responsabilité bancaire pour sécuriser les opérations et prévenir les contentieux. Cet article se veut un guide pratique, mais chaque situation personnelle est unique. Pour toute question complémentaire relative à une procédure de saisie administrative ou judiciaire sur vos comptes, notre cabinet se tient à votre disposition.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution, notamment les articles L. 162-1, L. 162-2, et R. 211-18 à R. 211-23.
  • Code monétaire et financier, pour les dispositions relatives au fonctionnement des comptes bancaires et au secret professionnel.
  • Code civil, pour les règles relatives aux régimes matrimoniaux et à la propriété des fonds.

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