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Statut juridique des noms de domaine : entre droit d’usage et propriété

Table des matières

Les noms de domaine constituent aujourd’hui un actif stratégique pour toute entreprise présente sur internet. Pourtant, leur nature juridique reste difficile à cerner. Ces identifiants numériques occupent une place ambiguë dans notre droit, entre simple droit d’usage contractuel et véritable propriété. Cette qualification n’est pas qu’une question théorique : elle détermine les protections dont bénéficie le titulaire et les opérations possibles sur cet actif.

La nature complexe des noms de domaine

Une ressource technique avant tout

Le nom de domaine est d’abord un élément technique d’adressage sur internet. Il permet de faire correspondre une adresse numérique (adresse IP) à un nom facilement mémorisable pour les utilisateurs. Cette fonction première explique l’organisation technique hiérarchisée du système des noms de domaine, avec différents niveaux (domaine de premier niveau comme « .fr », domaine de deuxième niveau comme « exemple.fr »).

Cette nature technique conditionne le cadre juridique des noms de domaine. En effet, la gestion du système est confiée à des organismes comme l’ICANN au niveau mondial ou l’AFNIC pour les noms en « .fr ». Ces entités définissent des règles contractuelles qui encadrent l’attribution et l’usage des noms de domaine, sans qu’une législation spécifique complète ne se soit imposée dans la plupart des pays.

Un bien incorporel à valeur économique

Au-delà de sa dimension technique, le nom de domaine représente une valeur économique parfois considérable. Cette valeur tient à plusieurs facteurs : rareté (un nom ne peut être attribué qu’à une seule personne), attractivité commerciale, potentiel de trafic, ou encore proximité avec une marque connue.

Cette dimension économique est reconnue par le droit fiscal. L’instruction fiscale du 9 mai 2003 (BOI 4 C-4-03) considère que les frais liés à la création ou l’acquisition d’un nom de domaine constituent des éléments incorporels non amortissables dès lors que les droits attachés à l’enregistrement ne sont pas limités dans le temps.

Les transactions sur les noms de domaine atteignent parfois des montants significatifs. Le nom « crypto.com » s’est vendu pour plusieurs millions de dollars. Ces échanges témoignent de la réalité économique du nom de domaine comme actif valorisable.

Les différentes qualifications juridiques possibles

Droit d’usage contractuel

La qualification la plus évidente des noms de domaine est celle d’un droit d’usage issu d’un contrat. Le règlement européen relatif au « .eu » précise ainsi que les noms sont attribués « pour usage ». De même, la charte de nommage de l’AFNIC prévoit l’attribution pour une durée limitée et renouvelable d’un nom de domaine pour son utilisation.

Ce droit d’usage est temporaire (généralement un an renouvelable) et soumis au respect des conditions contractuelles fixées par les registres. Le titulaire n’a donc pas la pleine maîtrise de son nom de domaine, contrairement à ce qu’impliquerait un véritable droit de propriété.

Cette approche contractuelle explique aussi pourquoi les litiges relatifs aux noms de domaine sont souvent résolus par des procédures alternatives de règlement des différends, comme la procédure UDRP, plutôt que par l’application du droit de la propriété intellectuelle.

Propriété sui generis ?

Certaines décisions judiciaires ont toutefois reconnu au titulaire d’un nom de domaine la qualité de « propriétaire ». La Cour d’appel de Paris avait ainsi jugé en 2000 que le réservataire d’un nom de domaine pouvait être considéré comme propriétaire. Cette qualification a semblé confortée par une décision de la CEDH du 18 septembre 2007 (Paeffgen GmbH c/ Allemagne) qui a considéré qu’une interdiction judiciaire d’utiliser des noms de domaine constituait une violation du droit de propriété protégé par l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention.

Toutefois, la notion de « propriété » utilisée par la CEDH correspond à une définition autonome qui ne recoupe pas exactement celle du droit français. Il paraît donc excessif d’en déduire que le nom de domaine fait l’objet d’un droit de propriété au sens de l’article 544 du code civil.

D’autres auteurs ont proposé de qualifier le nom de domaine de droit sui generis, c’est-à-dire un droit spécifique ne correspondant à aucune catégorie juridique préexistante. Cette qualification permettrait de rendre compte du caractère unique du nom de domaine et du droit que conserve son titulaire même en l’absence d’exploitation.

Protection par le droit des signes distinctifs

L’usage d’un nom de domaine peut lui conférer une protection par le droit des signes distinctifs. Un nom exploité comme « signe de ralliement de la clientèle » peut ainsi être protégé au même titre qu’une enseigne ou un nom commercial.

Cette protection ne naît toutefois que par l’effet de l’exploitation effective du nom. Comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt important du 13 décembre 2005 (affaire « Locatour »), l’enregistrement brut d’un nom de domaine, sans usage, ne permet pas d’invoquer la protection du droit des marques.

En revanche, un nom de domaine exploité activement peut être considéré comme une antériorité opposable à un dépôt de marque postérieur, selon l’article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle.

Les conséquences pratiques de ces qualifications

Implications fiscales

La qualification juridique du nom de domaine détermine son traitement fiscal. Considéré comme un actif incorporel, il doit figurer à l’actif du bilan de l’entreprise. Un tribunal administratif a ainsi estimé en 2012 que le droit d’usage d’un nom de domaine « est constitutif d’une source potentielle de revenus et doté d’une pérennité suffisante pour la personne à qui il est attribué ».

Les redevances annuelles payées pour maintenir l’enregistrement sont quant à elles déductibles du résultat imposable comme charges d’exploitation. Cette distinction entre l’actif incorporel et les frais de maintenance est importante pour l’optimisation fiscale des entreprises gérant un portefeuille de noms de domaine.

Valorisation et transmission

La qualification du nom de domaine impacte également les opérations de valorisation et de transmission. Si le nom n’est qu’un droit d’usage, sa cession s’apparente en réalité à une résiliation suivie d’un nouvel enregistrement au profit du « cessionnaire ». En revanche, reconnaître un droit de propriété facilite les opérations juridiques comme l’apport en société ou la mise en garantie.

Le tribunal de commerce de Marseille a ainsi admis en 2000 qu’un nom de domaine pouvait faire l’objet d’un apport en société. De même, la possibilité de donner un nom de domaine en location (souvent désignée par le terme impropre de « licence ») présuppose une forme de propriété.

Ces opérations doivent cependant s’effectuer dans le respect des règles édictées par les registres. Certains domaines, comme le « .fr » jusqu’à une période récente, n’autorisaient pas les transferts de noms de domaine.

Garanties juridiques associées

Enfin, la qualification juridique détermine les recours disponibles en cas d’atteinte aux droits du titulaire. Si le nom de domaine est considéré comme un signe distinctif, il peut être défendu par les actions en concurrence déloyale ou en contrefaçon selon les circonstances.

La jurisprudence reconnaît que l’utilisation d’un nom commercial dans un nom de domaine, portant atteinte à la fonction d’identification ou de publicité d’un nom commercial antérieurement utilisé par un concurrent dans le même secteur d’activité, constitue un acte de concurrence déloyale (Cass. com., 7 juillet 2004).

En revanche, il est plus difficile de défendre un nom de domaine non exploité contre des tiers revendiquant des droits antérieurs. C’est tout l’enjeu de la pratique du « cybersquatting », consistant à enregistrer des noms de domaine correspondant à des marques connues pour les revendre ensuite à leurs titulaires légitimes.

Pour se prémunir contre ces risques, une stratégie d’enregistrement préventif reste nécessaire, comme le détaille notre article sur les procédures d’enregistrement des noms de domaine.

Vers une clarification du statut juridique des noms de domaine ?

La qualification juridique des noms de domaine reste en construction. Le Conseil constitutionnel a souligné en 2010 l’importance des noms de domaine dans la vie économique et sociale, reconnaissant que les règles encadrant leur attribution affectent « les droits de la propriété intellectuelle, la liberté de communication et la liberté d’entreprendre ».

Cette décision n’a toutefois pas tranché la question de leur nature juridique. Dans la pratique, les noms de domaine continuent d’être traités selon une approche pragmatique, combinant éléments contractuels et protection par différents droits intellectuels selon leur usage.

Pour les entreprises, cette situation impose une vigilance particulière dans la gestion de leur portefeuille de noms. Une protection optimale passe par une stratégie combinant enregistrement préventif, exploitation effective et défense contre les atteintes, comme l’explique notre page dédiée aux conflits entre noms de domaine et signes distinctifs.

Si votre entreprise rencontre des questions complexes sur le statut juridique de ses noms de domaine ou envisage des opérations sur ces actifs numériques, nos avocats experts en noms de domaine et propriété intellectuelle peuvent vous accompagner dans la sécurisation de ces démarches.

Sources

  • Code de la propriété intellectuelle, articles L. 711-4 et suivants
  • Code des postes et communications électroniques, articles L. 45 à L. 45-8
  • Instruction fiscale BOI 4 C-4-03 du 9 mai 2003
  • Règlement CE n° 874/2004 du 28 avril 2004 relatif au « .eu »
  • CEDH, 18 septembre 2007, Paeffgen GmbH c/ Allemagne
  • Cass. com., 13 décembre 2005, affaire « Locatour »

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