La saisie-attribution est une procédure de recouvrement redoutable pour le créancier, mais elle est encadrée par des règles strictes qui, si elles sont ignorées, peuvent anéantir tous ses effets. Au cœur de ces exigences se trouvent la capacité juridique et le pouvoir des différentes parties : le créancier qui saisit, le débiteur qui subit la mesure, et le tiers qui détient les fonds. Une erreur d’appréciation sur la situation juridique de l’un de ces acteurs peut entraîner la nullité de l’acte, des contentieux complexes, voire des sanctions. La complexité des règles de capacité rend souvent indispensable l’intervention d’un avocat expert en voies d’exécution pour sécuriser la procédure ou organiser une défense efficace. Avant d’analyser en détail les conditions de capacité et de pouvoir des parties, il est essentiel de comprendre la procédure de saisie-attribution dans son ensemble, un mécanisme puissant de recouvrement de créances.
Le cadre général de la capacité juridique en saisie-attribution
La validité d’une saisie-attribution ne repose pas uniquement sur l’existence d’un titre exécutoire. Elle dépend aussi fondamentalement de la situation des personnes impliquées. Une procédure engagée par une personne sans le pouvoir requis ou dirigée contre une personne légalement protégée peut être remise en cause à tout moment.
Définition et rôles des acteurs de la saisie-attribution
La saisie-attribution est une voie d’exécution forcée qui permet à un créancier (le saisissant), muni d’un titre exécutoire, de se faire attribuer immédiatement les sommes d’argent que détient une autre personne (le tiers saisi) pour le compte de son débiteur (le saisi). Trois acteurs sont donc au centre de cette procédure. Le créancier saisissant est celui qui prend l’initiative de la mesure pour obtenir le paiement de sa créance. Le débiteur saisi est la personne dont la créance est saisie. Enfin, le tiers saisi, souvent un établissement bancaire, est le débiteur du débiteur saisi ; il a l’obligation de déclarer l’étendue de ses dettes et de verser les fonds au créancier.
L’impératif de capacité et de pouvoir : fondement de la validité de l’acte
Pour qu’une saisie-attribution soit valable, chaque partie doit avoir l’aptitude juridique d’agir. La capacité est l’aptitude d’une personne à être titulaire de droits et à les exercer. On distingue la capacité de jouissance (l’aptitude à avoir des droits) de la capacité d’exercice (l’aptitude à les mettre en œuvre soi-même). Un défaut de capacité, par exemple si la saisie est engagée par un mineur non émancipé sans son représentant, peut constituer un vice de fond. De même, le pouvoir d’agir, qui est lié à la qualité de la personne (par exemple, le pouvoir d’un époux d’engager les biens communs), est une condition essentielle. Le non-respect de ces règles entraîne la nullité de la procédure ou son inopposabilité, protégeant ainsi les personnes vulnérables ou les patrimoines qui ne devraient pas être affectés par la saisie.
La capacité juridique du créancier saisissant : conditions et exceptions
Le créancier qui souhaite recouvrer sa créance par une saisie-attribution doit non seulement disposer d’un titre exécutoire valable, mais aussi avoir la pleine aptitude à accomplir des actes d’administration. Sa situation personnelle, notamment son régime matrimonial ou une éventuelle procédure collective, peut affecter directement son pouvoir d’agir.
Principes généraux de capacité et d’administration
Selon l’article L. 111-9 du Code des procédures civiles d’exécution, la saisie-attribution est un acte d’administration. Cela signifie que le créancier doit avoir l’aptitude juridique de gérer son patrimoine. Un mineur émancipé peut ainsi agir seul. Pour un mineur non émancipé, ses représentants légaux (parents ou tuteur) devront agir en son nom. Concernant les majeurs protégés, le régime varie. Une personne sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits et peut donc initier une saisie. En revanche, un majeur sous curatelle devra, en principe, être assisté de son curateur pour recevoir les fonds, même s’il peut engager la procédure seul. Pour un majeur sous tutelle, c’est le tuteur qui le représente et qui engagera la saisie en son nom.
Influence du régime matrimonial sur la capacité du créancier
Le régime matrimonial des époux a une incidence directe sur le pouvoir du créancier saisissant. Si la créance est un bien propre à l’un des époux (par exemple, issue d’une succession), celui-ci peut agir seul. Si la créance est commune, relevant par exemple de l’activité professionnelle d’un époux marié sous le régime de la communauté, chaque conjoint a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et peut donc engager la saisie. Toutefois, une nuance existe pour les revenus professionnels : l’époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d’accomplir les actes d’administration nécessaires à celle-ci, ce qui inclut le recouvrement des créances qui en sont issues.
Capacité du créancier en procédure collective ou par action oblique
Lorsqu’un créancier fait l’objet d’une procédure collective, son pouvoir d’agir est modifié. En cas de liquidation judiciaire, le créancier est dessaisi de l’administration de ses biens, et c’est le liquidateur qui exercera les droits et actions en son nom. En cas de sauvegarde, le dirigeant conserve l’administration de son entreprise et peut donc procéder à une saisie, mais les fonds recouvrés devront être remis à l’administrateur. En redressement judiciaire, tout dépend de la mission confiée à l’administrateur par le tribunal de commerce, qui peut aller de la simple surveillance à la gestion complète de l’entreprise. Par ailleurs, un créancier peut utiliser l’action oblique pour exercer les droits de son propre débiteur si celui-ci est négligent. Dans ce cadre, il peut pratiquer une saisie-attribution au nom de son débiteur pour faire rentrer des fonds dans le patrimoine de ce dernier.
La capacité juridique du débiteur saisi et les mesures de protection
Le droit des voies d’exécution a mis en place de nombreuses protections pour le débiteur, afin d’éviter que la saisie ne le prive de ses moyens de subsistance ou ne porte atteinte à des patrimoines insaisissables. Ces garanties sont particulièrement fortes pour les personnes vulnérables et pour certaines catégories de revenus.
Débiteur mineur ou majeur protégé : règles spécifiques
La protection des personnes vulnérables est un principe fondamental. Si le débiteur saisi est un mineur non émancipé, la saisie-attribution doit être dirigée contre son représentant légal. Il n’est pas nécessaire de dénoncer l’acte au mineur lui-même. Pour un majeur sous sauvegarde de justice, la saisie est dirigée directement contre lui. En revanche, en matière de curatelle, l’article 467 du Code civil impose que toute signification faite au majeur en curatelle le soit également à son curateur, sous peine de nullité. Enfin, pour un majeur sous tutelle, la saisie est pratiquée à l’encontre du tuteur, qui représente le débiteur dans tous les actes de la vie civile.
Régimes matrimoniaux, indivision et successions : enjeux pour le débiteur
La situation familiale et patrimoniale du débiteur est déterminante. Pour un débiteur marié sous le régime de la communauté, ses dettes personnelles peuvent en principe être poursuivies sur les biens communs. Cependant, une protection existe pour les gains et salaires du conjoint : un créancier ne peut saisir le salaire du conjoint que pour des dettes contractées pour les besoins de l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants (article 1414 du Code civil). De plus, l’article 1415 du Code civil protège les biens communs des dettes résultant d’un cautionnement ou d’un emprunt souscrit par un seul époux sans le consentement de l’autre. Dans le cas d’une indivision, les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent pas saisir sa part dans les biens indivis. Ils peuvent cependant provoquer le partage pour se faire payer sur les biens qui lui seront attribués, par exemple à l’issue d’une vente. Enfin, en cas de succession, une saisie ne peut être valablement opérée contre les héritiers que si le titre exécutoire leur a été préalablement signifié à leur domicile.
Syndicat de copropriété ou débiteur en procédure collective
Un syndicat de copropriétaires, représenté par son syndic, a la personnalité civile et un siège social, et peut donc être débiteur saisi. La contestation d’une saisie-attribution par le syndicat n’est pas soumise à une autorisation préalable de l’assemblée générale des copropriétaires. Si le débiteur fait l’objet d’une procédure collective, le jugement d’ouverture arrête ou interdit toute poursuite individuelle de la part des créanciers antérieurs. Une saisie-attribution pratiquée après la date du jugement d’ouverture pour une créance antérieure serait donc nulle. En revanche, si la saisie a été signifiée au tiers saisi avant le jugement, l’attribution immédiate de la créance au créancier saisissant n’est pas remise en cause par la procédure collective.
Sommes insaisissables : salaires, pensions, allocations et sbi
La loi protège une partie des revenus du débiteur pour lui garantir un minimum vital. Parmi les protections les plus importantes figurent celles encadrant la saisie des rémunérations, qui obéit à des règles et des barèmes stricts pour préserver un minimum vital pour le débiteur. Ces règles s’appliquent au salaire, mais aussi aux pensions de retraite, aux allocations chômage ou aux indemnités journalières de maladie. D’autres prestations sont totalement insaisissables, comme les prestations familiales, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou le revenu de solidarité active (RSA), sauf pour le paiement de certaines dettes spécifiques (pensions alimentaires, frais d’entretien). Cette protection est complétée par le mécanisme du Solde Bancaire Insaisissable (SBI), garantissant que toute personne physique conserve une somme minimale sur son compte, quel que soit le montant de la dette. Le montant du SBI est forfaitaire et équivaut au montant du RSA pour une personne seule. Enfin, il faut noter qu’une réforme importante de la saisie des rémunérations entrera en vigueur au 1er juillet 2025, déjudiciarisant la procédure pour la confier aux commissaires de justice (anciennement huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires).
Le statut et les obligations du tiers saisi : acteur central de la procédure
Le tiers saisi, bien que n’étant pas directement partie au litige initial, joue un rôle essentiel dans le bon déroulement de la saisie-attribution. Ses déclarations et son paiement conditionnent le succès de la mesure. Ses obligations sont donc strictement encadrées, et tout manquement peut engager sa responsabilité personnelle.
Définition du tiers saisi et son obligation de déclaration
Le tiers saisi est toute personne qui détient des sommes d’argent pour le compte du débiteur saisi. Il peut s’agir d’un établissement de crédit, d’un locataire, d’un notaire, ou même d’un avocat via la CARPA. Dès la signification de l’acte de saisie par l’huissier de justice, le tiers saisi est tenu d’informer sur-le-champ ce dernier sur l’étendue de ses obligations envers le débiteur. Cette réponse doit être précise et complète. Le tiers doit notamment indiquer le numéro des comptes concernés, leur solde à la date de la saisie, les éventuelles modalités qui affectent leur paiement (terme, condition) et l’existence d’éventuelles cessions de créances ou de saisies antérieures. En tant qu’acteur central, le tiers saisi, souvent une banque, doit respecter scrupuleusement ses obligations et responsabilités, sous peine de sanctions sévères. Un manquement à cette obligation d’information, en l’absence de motif légitime, peut conduire à sa condamnation au paiement des causes de la saisie, voire à des dommages et intérêts.
Le tiers saisi en procédure collective : mandataires et commissaires
La situation se complexifie lorsque des mandataires de justice interviennent. La jurisprudence a clarifié que les administrateurs et liquidateurs judiciaires peuvent avoir la qualité de tiers saisi. Par exemple, une saisie-attribution peut être pratiquée entre les mains du liquidateur judiciaire qui détient des fonds pour le compte d’un créancier de l’entreprise en procédure collective. De même, le commissaire à l’exécution du plan peut être considéré comme tiers saisi pour les sommes qu’il détient dans le cadre de sa mission. Ces mandataires sont alors soumis à la même obligation de déclaration que n’importe quel autre tiers saisi, et leur responsabilité personnelle peut être engagée en cas de déclaration inexacte ou de défaut de réponse.
Sanctions et voies de recours en cas de non-respect des règles de capacité ou de pouvoir
Le formalisme des procédures civiles d’exécution n’est pas une simple contrainte administrative. Il est la garantie des droits de chaque partie. Le non-respect des règles de capacité, de pouvoir, ou des mentions obligatoires dans les actes, ouvre la voie à des contestations qui peuvent anéantir la procédure. Face à un manquement, le débiteur dispose de plusieurs voies de recours pour contester la validité de la saisie et obtenir sa mainlevée.
Les causes de nullité et de caducité de la saisie-attribution
Une saisie-attribution peut être frappée de nullité pour des vices de forme ou de fond. Les vices de forme concernent le non-respect des mentions obligatoires dans l’acte de saisie ou l’acte de dénonciation (par exemple, l’absence de décompte détaillé de la créance). Les vices de fond sont plus graves et touchent aux conditions essentielles de la saisie-attribution : absence de titre exécutoire valable, créance non liquide ou non exigible, ou encore un défaut d’aptitude d’une des parties. De plus, la procédure peut devenir caduque si le créancier ne procède pas à la dénonciation de la saisie au débiteur dans le délai de huit jours ouvrables suivant la signification au tiers saisi. Une telle caducité anéantit rétroactivement tous les effets de la saisie.
Le Juge de l’Exécution (JEX) : compétence et limites dans le contrôle de la validité
En droit français, le Juge de l’Exécution (JEX) est le seul compétent pour connaître des contestations relatives à une saisie-attribution. Sa compétence est d’ordre public. Il peut se prononcer sur la validité formelle des actes de procédure, mais aussi sur des questions de fond qui ont une incidence sur l’exécution, comme la prescription de la créance. Cependant, son pouvoir a des limites claires, constamment rappelées par la Cour de cassation : il ne peut pas modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites. Il ne peut donc pas remettre en cause le principe même de la condamnation. Il peut en revanche tenir compte d’événements postérieurs au jugement, comme un paiement partiel, pour ajuster le montant de la saisie. Son rôle est donc de garantir la régularité de l’exécution, pas de rejuger l’affaire.
Voies de recours et sanctions des défauts de capacité/pouvoir
Le débiteur qui entend contester une saisie-attribution doit agir dans un délai d’un mois à compter de la dénonciation de l’acte, en assignant le créancier devant le Juge de l’Exécution. Cette contestation, dénoncée à l’huissier par lettre recommandée, suspend le paiement. Si le JEX accueille la contestation, il ordonne la mainlevée de la saisie et celle-ci est anéantie. Si le tiers saisi a manqué à ses obligations, le créancier peut l’assigner pour obtenir sa condamnation au paiement des sommes dues. Les décisions du JEX sont susceptibles d’appel dans un délai de quinze jours, mais l’appel n’est pas suspensif. Au-delà des nullités, un créancier qui met en œuvre une procédure en connaissance d’un défaut manifeste de l’une des parties pourrait voir sa responsabilité engagée pour saisie-attribution abusive.
La maîtrise des règles de capacité et de pouvoir est indispensable pour sécuriser une procédure de saisie-attribution et éviter les pièges qui peuvent mener à sa nullité. Si vous êtes confronté à une telle mesure, que vous soyez créancier, débiteur ou tiers saisi, l’assistance d’un avocat expert en voies d’exécution est essentielle pour évaluer la validité des actes et défendre efficacement vos droits.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution
- Code civil
- Code de commerce
- Code du travail
- Code de la sécurité sociale