Un commissaire de justice français remet des documents de saisie-attribution à un(e) banquier(ère) dans un bureau moderne. Obligations banque tiers saisi.

Banquier tiers saisi : obligations, responsabilités et gestion des comptes complexes en saisie-attribution

Table des matières

Lorsqu’un créancier engage une procédure de recouvrement, l’établissement bancaire du débiteur se retrouve projeté dans un rôle qui dépasse celui de simple dépositaire des fonds : celui de tiers saisi. Cette position n’est pas neutre et engage lourdement sa responsabilité, à l’instar de ce qui existe pour la saisie administrative à tiers détenteur (SATD) diligentée par un comptable public. Loin d’être un simple automate, la banque est tenue à des obligations complexes, dont la méconnaissance peut entraîner une sévère sanction financière. L’accélération des flux financiers, la complexité des structures de comptes et le contexte international ajoutent des défis constants à cette mission délicate. Avant d’analyser en détail les devoirs spécifiques du banquier, il est essentiel de comprendre le fonctionnement de la saisie-attribution, une procédure d’exécution qui transfère immédiatement la propriété d’une créance au créancier saisissant par le simple effet de l’acte signifié par le commissaire de justice.

Les obligations fondamentales du banquier tiers saisi : déclaration et délais

Dès la signification de l’acte de saisie-attribution par un commissaire de justice, la banque endosse des responsabilités impératives. Sa réaction doit être immédiate et précise, car la loi, par le décret d’application relatif à la procédure de saisie attribution, ne lui accorde aucun délai de réflexion face au commissaire de justice. L’une des premières obligations du banquier est de déclarer l’étendue des avoirs du débiteur, ce qui implique une connaissance fine des règles encadrant le calcul précis du solde saisissable après la régularisation des opérations en cours, une étape clé de la mise en œuvre.

La portée de la déclaration ‘sur-le-champ’ et son caractère impératif

L’art. R. 211-4 du Code des procédures civiles d’exécution impose au tiers saisi de fournir « sur-le-champ » au commissaire de justice les renseignements sur l’étendue de ses obligations envers le débiteur. La jurisprudence interprète cette notion de manière très stricte. Il ne s’agit pas d’un délai de quelques jours, mais d’une obligation d’exécution instantanée. Le commissaire de justice instrumentaire doit obtenir une réponse immédiate lors de la signification de l’acte. Le caractère impératif de la déclaration ‘sur-le-champ’ s’explique par la nature même de la procédure, qui autorise un commissaire de justice à saisir un compte bancaire sans avertissement préalable pour garantir son efficacité.

Cette exigence est mise à rude épreuve par la dématérialisation des flux financiers. Pour un virement SEPA ou SWIFT, dont l’ordre est irrévocable dès sa réception par le prestataire de paiement du payeur, le dénouement de l’opération peut prendre un certain temps (J+1 ou plus). La banque doit alors déclarer la situation exacte des comptes au moment précis de la saisie, en tenant compte des opérations initiées mais non encore créditées ou débitées. La jurisprudence judiciaire considère que la créance issue d’un virement naît dès l’émission de l’ordre, même si les fonds ne sont pas encore formellement inscrits au compte du bénéficiaire. La banque doit donc faire preuve d’une grande diligence pour photographier l’état des avoirs à l’instant T, sous peine de voir sa responsabilité engagée dans le cadre de cette procédure administrative et judiciaire.

L’exigence de communication des pièces justificatives et les limites du secret bancaire

Au-delà de la simple déclaration des soldes, le banquier doit communiquer les pièces justificatives. Cette obligation, prévue par l’art. R. 211-4 du Code des procédures civiles d’exécution, se heurte souvent à la question du secret bancaire, protégé par l’art. L. 511-33 du Code monétaire et financier. Cependant, la loi est claire : l’obligation de coopérer à une mesure d’exécution forcée constitue une dérogation légale au secret bancaire. Le banquier ne peut donc s’en prévaloir pour refuser de communiquer au commissaire de justice les informations pertinentes.

Cette communication doit être ciblée et proportionnée. Elle concerne l’ensemble des comptes de dépôt ouverts au nom du débiteur et doit permettre au commissaire de justice de vérifier l’exactitude de la déclaration. La banque doit notamment signaler, via une réponse écrite au commissaire de justice, les éventuelles cessions de créances, délégations ou saisies antérieures qui affecteraient la disponibilité des fonds. Cette transparence est d’autant plus nécessaire que les établissements bancaires sont également soumis à des obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (TRACFIN), qui peuvent les amener à identifier des opérations suspectes sur les comptes du débiteur.

Responsabilité du banquier tiers saisi et appréciation du motif légitime

Le manquement aux obligations de déclaration et de communication expose le banquier à être condamné à des sanctions directes et sévères. La responsabilité du banquier peut être engagée s’il manque à ses devoirs, mais il doit également savoir identifier les situations où la mesure elle-même est potentiellement irrégulière, notamment dans le cas d’une saisie-attribution jugée abusive. Le législateur, dans le texte relatif à cette matière, a toutefois prévu une soupape de sécurité : le motif légitime, qui peut, dans certaines circonstances, justifier un retard ou une absence de déclaration. Son appréciation par le juge est au cœur de nombreux contentieux.

Les sanctions en cas de manquement à l’obligation de déclaration

L’art. R. 211-5 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit deux types de sanctions, souvent mises en œuvre à l’initiative du commissaire de justice rapportant un manquement. La première, et la plus redoutable, est la condamnation au paiement des causes de la saisie. Si la banque s’abstient de toute déclaration ou la fournit tardivement sans justification, elle peut être personnellement tenue de payer la dette du débiteur à la place de celui-ci. Elle devient, en quelque sorte, le garant de l’insolvabilité de son client. Cette sanction, dont le montant peut être lourd de conséquences pour l’entreprise bancaire, vise à décourager toute collusion entre le tiers saisi et le débiteur.

La seconde sanction est la condamnation au paiement de dommages-intérêts. Elle s’applique en cas de déclaration inexacte ou mensongère. Si le créancier prouve que la déclaration erronée de la banque lui a causé un préjudice, par exemple en l’empêchant de recouvrer sa créance, il peut obtenir réparation. L’action en responsabilité contre le tiers saisi se prescrit selon les règles de droit commun, et son point de départ est le jour même de la décision de mise en œuvre de la saisie-attribution par le commissaire de justice.

La notion de motif légitime et son rôle exonératoire

Pour échapper à ces sanctions, la banque peut invoquer un motif légitime. Cette notion, laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond, recouvre les situations où des difficultés objectives et sérieuses empêchent une déclaration immédiate et complète. La jurisprudence a progressivement dessiné les contours de ce qui est acceptable. Un motif légitime peut être reconnu en cas de complexité exceptionnelle des opérations (par exemple, la nécessité de consolider les soldes de multiples comptes régis par une convention d’unité de compte) ou de difficulté à identifier l’interlocuteur habilité au sein d’une grande structure lors de la signification par le commissaire de justice.

En revanche, l’ignorance de la loi ou une désorganisation interne sont systématiquement rejetées. Le devoir de vigilance du banquier peut aussi constituer un motif légitime. S’il a des doutes sérieux sur la régularité d’une opération ou soupçonne une fraude (comme dans les cas de « fraude au président » ou de phishing), il peut être fondé à différer sa déclaration le temps de procéder aux vérifications nécessaires, ce qui constitue une pratique de prudence. Ce faisant, il protège non seulement ses propres intérêts mais aussi ceux des parties à la saisie, évitant ainsi d’exécuter un paiement qui pourrait être contesté par la suite.

Gestion des comptes complexes : conventions d’unité, fusion et succursales étrangères

La saisie-attribution révèle toute sa complexité lorsqu’elle porte sur des structures de comptes qui sortent de l’ordinaire. Les conventions d’unité de compte, les comptes joints ou encore les comptes détenus dans des succursales à l’étranger posent des questions juridiques pointues quant à l’étendue réelle de l’assiette de la saisie et aux obligations déclaratives de la banque.

Opposabilité des conventions d’unité et de fusion de comptes à la saisie-attribution

De nombreuses entreprises disposent de plusieurs comptes bancaires. Pour simplifier leur gestion de trésorerie, elles peuvent conclure avec leur banque une convention d’unité ou de fusion de comptes. Cette convention stipule que l’ensemble des comptes est considéré comme un compte unique, dont seul le solde global consolidé est juridiquement pertinent. La question se pose alors de savoir si cette convention est opposable au créancier saisissant.

La Cour de cassation a tranché dans un arrêt de principe : une telle convention est opposable, à condition qu’elle ait été conclue avant la saisie et qu’elle ne soit pas frauduleuse. Le banquier est alors tenu de ne déclarer que le solde unique résultant de la fusion des comptes, un objet de contentieux fréquent. L’opposabilité de ces conventions est souvent débattue, notamment lorsqu’elles entrent en concurrence avec d’autres sûretés comme un nantissement de compte, dont les règles d’efficacité peuvent primer sur la saisie. Cette solution a un impact considérable sur l’assiette de la saisie : un compte individuellement créditeur peut se retrouver absorbé dans un solde global débiteur, privant ainsi le créancier de tout gage.

La saisie sur les succursales bancaires étrangères et les enjeux transfrontaliers

Le principe de territorialité des voies d’exécution voudrait qu’une saisie pratiquée en France ne puisse atteindre des avoirs situés à l’étranger. Toutefois, la jurisprudence a adopté une approche pragmatique concernant les banques. Une succursale n’ayant pas de personnalité morale distincte de la maison-mère, chaque personne morale étant une entité unique, la Cour de cassation considère qu’une saisie-attribution signifiée au siège social d’une banque française produit ses effets sur l’ensemble des comptes du débiteur, y compris ceux tenus par ses succursales à l’étranger (Civ. 2e, 10 déc. 2020, numéro 18-17.937). Cette décision, qui a une portée significative dans le cadre de l’Union européenne, impose une coordination rigoureuse.

Le banquier tiers saisi doit donc inclure dans sa déclaration les soldes des comptes détenus dans ses agences à l’étranger. Cette solution renforce l’efficacité des saisies dans un contexte économique globalisé mais impose aux banques une coordination interne rigoureuse pour respecter l’obligation de réponse « sur-le-champ » au commissaire de justice, notamment face aux délais de communication inhérents aux réseaux internationaux comme SWIFT ou aux procédures de règlement SEPA, un enjeu majeur pour toute entreprise à statut international.

Particularités des comptes joints et indivis en saisie-attribution

La saisie d’un compte à pluralité de titulaires obéit à des règles distinctes selon sa nature. Pour un compte joint, la solidarité active permet à chaque cotitulaire d’être considéré comme créancier de la totalité du solde. En conséquence, le créancier d’un seul des cotitulaires peut faire saisir la totalité des fonds disponibles. Cependant, cette saisie n’emporte pas attribution définitive. Le cotitulaire non débiteur peut en obtenir la mainlevée partielle en prouvant qu’une partie des fonds lui appartient en propre.

Le régime du compte indivis est différent. Faute de solidarité, chaque co-indivisaire n’est réputé propriétaire que de sa quote-part. La saisie pratiquée du chef d’un seul des titulaires ne peut donc porter que sur sa part présumée dans l’indivision, souvent la moitié en l’absence de précision dans l’acte ou la convention relatif au compte. L’impact du régime matrimonial des cotitulaires est également déterminant, notamment pour distinguer les fonds propres des fonds communs et leur saisissabilité respective.

Saisie-attribution et procédures collectives : nullités et protection de la banque

L’articulation entre une mesure d’exécution individuelle comme la saisie-attribution et une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) est une source de contentieux. Si la saisie intervient avant le jugement d’ouverture, elle confère en principe un droit exclusif au créancier. Toutefois, ce droit peut être anéanti si la saisie a été pratiquée durant la « période suspecte ». L’ouverture d’une procédure collective soulève des questions complexes sur la poursuite des paiements, notamment en ce qui concerne la saisie des créances à exécution successive, comme les loyers ou les redevances.

L’effet attributif face à l’ouverture d’une procédure collective

L’art. L. 211-2 du Code des procédures civiles d’exécution est formel : l’acte de saisie emporte attribution immédiate de la créance saisie au profit du créancier. La conséquence est majeure : la créance sort du patrimoine du débiteur saisi pour entrer dans celui du saisissant. De ce fait, un jugement d’ouverture de procédure collective postérieur à la saisie ne remet pas en cause cet effet attributif. Le créancier saisissant échappe à la discipline collective et n’a pas à déclarer sa créance au passif pour la part couverte par la saisie. Il conserve son droit au paiement direct par le tiers saisi.

Les risques de nullité des saisies en période suspecte : conditions et preuve

Ce principe connaît une exception de taille : la nullité des actes de la période suspecte. La période suspecte est celle qui s’écoule entre la date de cessation des paiements du débiteur et le jugement d’ouverture de la procédure collective. Selon l’art. L. 632-2 du Code de commerce, une saisie-attribution pratiquée durant cette période peut être annulée par le tribunal. Il s’agit d’une nullité facultative.

Pour que la nullité soit prononcée, une condition essentielle doit être remplie : le créancier saisissant devait avoir connaissance de l’état de cessation des paiements du débiteur au moment de la saisie. La jurisprudence administrative et judiciaire récente a précisé les contours de cette connaissance, qui doit être personnelle et non celle du commissaire de justice mandaté (cf. Com. 2 déc. 2014). La charge de la preuve de cette connaissance pèse sur les organes de la procédure collective (mandataire ou liquidateur). Pour la banque tiers saisi, le risque est donc de voir une saisie, pour laquelle elle a procédé à une déclaration et immobilisé des fonds, être anéantie rétroactivement, l’obligeant à restituer les sommes au liquidateur.

La complexité des obligations du banquier tiers saisi face à une saisie-attribution, particulièrement sur des comptes complexes ou dans un contexte international, rend l’assistance d’un avocat compétent en voies d’exécution indispensable pour sécuriser les opérations, anticiper les frais de procédure, et limiter les risques de responsabilité. Notre cabinet se tient à votre disposition pour analyser votre situation et vous proposer un plan d’accompagnement adapté.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) : notamment art. L. 211-1 à L. 211-5 (dispositions générales), art. R. 211-1 à R. 211-23 (décret d’application relatif à la procédure), art. L. 162-1 et R. 162-2 (dispositions spécifiques au solde bancaire insaisissable)
  • Code de commerce : notamment art. L. 632-1 et L. 632-2 sur les nullités de la période suspecte, une condition essentielle dans le cadre des procédures collectives
  • Code monétaire et financier (CMF) : notamment art. L. 511-33 sur le secret bancaire
  • Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (dite ‘loi Justice’) et son décret d’application, relatifs à la dématérialisation des échanges par voie électronique avec le commissaire de justice.
  • Jurisprudence de la Cour de cassation (Chambre civile et Chambre commerciale) relative aux obligations du tiers saisi.

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