La saisie conservatoire sur un compte bancaire est une mesure préventive redoutable, permettant à un créancier de faire bloquer une somme d’argent sur le compte de son débiteur avant même d’avoir obtenu une décision de justice définitive. Cette procédure rapide, qui vise à garantir le paiement d’une future créance, crée un effet de surprise majeur en rendant des fonds indisponibles. Son objectif est clair : empêcher le débiteur d’organiser son insolvabilité.
Cet article propose une vue d’ensemble de la saisie conservatoire sur compte, de ses conditions à sa mise en œuvre, en synthétisant les étapes clés de cette procédure d’exécution complexe, régie par le code des procédures civiles d’exécution.
Pour un accompagnement sur mesure, notre cabinet d’avocats compétent en voies d’exécution et saisie conservatoire peut analyser votre situation.
Qu’est-ce qu’une saisie conservatoire sur un compte bancaire ?
La saisie conservatoire est une mesure judiciaire provisoire qui a pour objet de sécuriser une créance. Lorsqu’elle vise un compte bancaire, elle consiste à rendre indisponible une somme d’argent détenue par une banque pour le compte d’un débiteur. Concrètement, le créancier, par l’intermédiaire d’un commissaire de justice (anciennement huissier de justice), va bloquer une certaine somme sur le compte bancaire du débiteur. Le solde du compte reste créditeur, mais le débiteur ne peut plus utiliser la part saisie.
Il ne s’agit pas encore d’un paiement. La saisie conservatoire « gèle » les fonds en attendant l’issue d’une procédure judiciaire. Elle se distingue ainsi de la saisie-attribution, qui est une mesure d’exécution forcée intervenant une fois qu’une décision de justice condamnant le débiteur à payer est obtenue. La saisie conservatoire est donc une garantie, une prise de position stratégique pour préserver les chances de recouvrement.
Les conditions pour engager une procédure de saisie conservatoire
Le créancier ne peut pas pratiquer une saisie conservatoire sur un coup de tête. La loi encadre strictement cette mesure pour protéger le débiteur contre des actions abusives. Le juge, s’il est saisi d’une demande d’autorisation, vérifiera la présence de deux conditions cumulatives, comme le prévoit l’art. L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution.
Une créance paraissant fondée en son principe
La première condition est que la créance doit paraître fondée en son principe, ce que les juristes appellent le fumus boni juris. Il n’est pas nécessaire à ce stade que la créance soit certaine, liquide et exigible, comme pour une mesure d’exécution forcée.
Le créancier doit simplement prouver au juge qu’il existe une apparence de droit, une vraisemblance de sa créance. Pour cela, il peut produire tout document utile : une facture impayée, un contrat, une reconnaissance de dette, des lettres de mise en demeure restées sans réponse. Le juge de l’exécution ne tranche pas le fond du litige mais évalue si la demande de saisie repose sur une base sérieuse.
Des circonstances menaçant le recouvrement de la créance
La seconde condition est l’existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance (le periculum in mora, ou péril dans la demeure). Le créancier doit prouver qu’il existe un risque réel que le débiteur ne puisse pas ou ne veuille pas payer sa dette à l’issue de la procédure.
Cette menace peut prendre plusieurs formes : l’insolvabilité connue ou à craindre du débiteur, la dissimulation de ses biens, un comportement démontrant une volonté de ne pas s’acquitter de ses obligations.
Par exemple, l’absence de publication des comptes sociaux d’une entreprise ou un endettement très élevé par rapport à son actif peuvent constituer une telle menace. La Cour de cassation contrôle la motivation des juges du fond sur ce point (Cass., Chambre Commerciale, 8 mars 1977).
L’autorisation du juge : une étape souvent indispensable
En principe, pour pratiquer une saisie conservatoire, le créancier doit obtenir une autorisation préalable de la justice. Cette étape garantit un contrôle sur la légitimité de la mesure avant qu’elle ne soit mise en œuvre.
Le principe : obtenir une ordonnance du juge de l’exécution
La demande d’autorisation de saisie se fait par une requête adressée au juge de l’exécution (JEX) près le tribunal judiciaire du lieu où demeure le débiteur. La procédure est non contradictoire, c’est-à-dire que le débiteur n’en est pas informé, afin de préserver l’effet de surprise.
Le créancier qui vient solliciter cette autorisation doit joindre à sa requête tous les documents justifiant le bien-fondé de sa créance et la menace qui pèse sur son recouvrement. S’il estime la demande justifiée, le juge rend une ordonnance autorisant la saisie conservatoire. Cette ordonnance précise le montant de la créance pour lequel la saisie est autorisée.
Les cas de dispense d’autorisation judiciaire
L’art. L. 511-2 du code des procédures civiles d’exécution prévoit des exceptions où le créancier peut pratiquer une saisie conservatoire sans autorisation préalable du juge. Cette dispense est accordée lorsque la créance est déjà matérialisée par un titre suffisamment probant. Les principaux cas sont :
- La détention d’un titre exécutoire, même non définitif.
- Une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire.
- Le défaut de paiement d’une lettre de change acceptée, d’un billet à ordre ou d’un chèque impayé.
- Un loyer impayé résultant d’un contrat de louage d’immeubles écrit.
Dans ces situations, le créancier peut s’adresser directement à un commissaire de justice pour qu’il procède à la saisie. Le débiteur conserve cependant la possibilité de contester la saisie a posteriori.
Le déroulement de la saisie et ses conséquences pour le débiteur
Une fois l’autorisation obtenue ou si le créancier en est dispensé, la procédure de saisie peut être lancée. Elle suit un calendrier précis et ouvre des droits au débiteur.
La mise en œuvre de la mesure par le commissaire de justice
Le créancier dispose d’un délai de trois mois à compter de l’ordonnance de saisie conservatoire pour la faire effectuer par un commissaire de justice. La saisie est réalisée par un acte de saisie signifié directement à la banque du débiteur (le tiers saisi). Cet acte rend immédiatement indisponible une partie du solde du compte, à hauteur du montant autorisé. La banque est tenue de déclarer le solde des comptes du débiteur au jour de la saisie.
La saisie doit ensuite être dénoncée au débiteur par acte de commissaire de justice dans un délai de huit jours. Cet acte informe le débiteur de la saisie pratiquée, de son droit de la contester et des sommes bloquées.
De plus, le créancier doit, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, engager la procédure judiciaire nécessaire pour obtenir un titre exécutoire condamnant le débiteur au paiement. Le respect de ces délais, dont le calcul obéit à des règles de procédure civile précises, est impératif sous peine de caducité de la saisie.
Les voies de recours pour le débiteur : contester la saisie
Le débiteur qui subit une saisie conservatoire dispose d’un droit de contestation. Il peut saisir le juge de l’exécution pour formuler une demande de mainlevée (la levée) de la saisie. Les motifs de contestation peuvent porter sur la forme de la procédure (non-respect des délais, par exemple) ou sur le fond. Le débiteur peut ainsi chercher à démontrer que les conditions de la saisie ne sont pas réunies : que la créance n’est pas fondée en son principe ou que son recouvrement n’est pas menacé.
La conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution
La saisie conservatoire n’est qu’une étape transitoire. Pour que le créancier puisse effectivement récupérer la somme d’argent bloquée, il doit transformer cette mesure conservatoire en mesure d’exécution forcée.
L’obtention d’un titre exécutoire : la clé de la conversion
La conversion n’est possible qu’une fois que le créancier a obtenu un titre exécutoire. Ce titre est le plus souvent une décision de justice (un jugement) emportant condamnation du débiteur à payer la créance. C’est ce document qui officialise la dette et qui permet au créancier de passer de la conservation de ses droits à leur exécution.
L’acte de conversion et le paiement par le tiers saisi
Muni de son titre exécutoire, le créancier doit faire signifier un acte de conversion à la banque. Cet acte transforme la saisie conservatoire en saisie-attribution. Une copie de cet acte de conversion est également signifiée au débiteur.
Ce dernier dispose alors d’un délai de 15 jours pour former une éventuelle contestation relative à la conversion. En l’absence de nouvelle contestation dans ce délai, le créancier peut demander le paiement des sommes saisies à la banque. Le tiers saisi procède alors au paiement directement entre les mains du commissaire de justice du créancier, ce qui met fin à la procédure.
La procédure de saisie conservatoire, bien qu’efficace, est jalonnée d’étapes et de délais stricts dont le non-respect peut entraîner sa nullité ou sa caducité. La construction d’une stratégie de recouvrement performante nécessite l’intervention d’un avocat pour sécuriser chaque phase de la procédure, de la requête initiale à la conversion en saisie-attribution.
Foire aux questions
Quelle est la différence entre une saisie conservatoire et une saisie-attribution ?
La saisie conservatoire est une mesure préventive qui bloque les fonds sur un compte sans permettre le paiement immédiat du créancier. Elle peut être lancée avant même un procès. La saisie-attribution est, à l’inverse, une pratique d’exécution forcée, qui intervient après l’obtention d’un titre exécutoire (comme un jugement définitif ou une ordonnance d’injonction de payer devenue exécutoire), et qui oblige la banque à payer le créancier avec les fonds saisis.
La totalité de mon compte bancaire peut-elle être bloquée ?
Non. La loi protège une partie de vos fonds. L’art. R. 162-2 du code des procédures civiles d’exécution prévoit un solde bancaire insaisissable (SBI). Ce montant, équivalent au montant forfaitaire du RSA pour une personne seule, doit impérativement être laissé à votre disposition par la banque. La saisie ne peut porter que sur le solde disponible au-delà de cette somme.
Combien de temps dure une saisie conservatoire ?
La saisie conservatoire est une mesure provisoire. Sa durée de validité est liée à la procédure engagée par le créancier pour obtenir un titre exécutoire. Si le créancier n’agit pas dans les délais impartis (notamment un mois pour engager une action au fond), la saisie devient caduque et une demande de mainlevée peut être présentée.
Puis-je utiliser mon compte pendant la saisie conservatoire ?
Oui, mais de manière limitée. Le montant pour lequel la saisie a été pratiquée est rendu indisponible. Vous pouvez cependant utiliser le solde du compte ouvert qui excède ce montant, ainsi que les fonds qui seraient crédités sur le compte après la date de la saisie.
Que se passe-t-il si je conteste la saisie et que j’obtiens gain de cause ?
Si, à la suite de votre contestation, le juge ordonne la mainlevée (ou la levée) de la saisie, les fonds bloqués sur votre compte bancaire sont immédiatement libérés. Vous pouvez également, dans certains cas, demander au juge de condamner le créancier à vous verser des dommages-intérêts (une indemnité) pour le préjudice subi du fait de la saisie injustifiée.
Qui paie les frais de la procédure de saisie ?
En principe, les frais de la procédure de saisie (frais de commissaire de justice, etc.) sont à la charge du débiteur. Cependant, si la saisie est jugée abusive et que la mainlevée est ordonnée, le créancier pourra être condamné à supporter ces frais.
Existe-t-il une procédure de saisie européenne ?
Oui, le règlement (UE) n°655/2014 a créé une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires. Cette procédure européenne, qui ne remplace pas les voies de recours nationales mais s’y ajoute, permet de bloquer des fonds sur un compte ouvert dans un autre État membre de l’Union européenne. Elle facilite grandement le recouvrement transfrontalier de créances en Europe, en offrant un accès à un outil juridique unifié.