La saisie-attribution est une procédure de recouvrement redoutable pour le créancier, mais sa phase finale, celle du paiement, recèle une complexité souvent sous-estimée. Pour le créancier, il s’agit d’obtenir la satisfaction effective de sa créance. Pour le tiers saisi, typiquement une banque, l’enjeu est de se libérer de son obligation sans commettre d’impair. Pour le débiteur, cette étape ultime soulève des questions sur ses droits résiduels et les protections légales qui lui restent. La phase de paiement d’une saisie-attribution est une étape critique, où l’assistance d’un avocat expert en voies d’exécution forcée est souvent déterminante. Avant d’analyser en détail les mécanismes complexes du paiement et de la libération du tiers saisi, il est essentiel de comprendre la procédure de saisie-attribution dans son ensemble.
I. Le paiement effectif de la saisie-attribution : modalités et obligations du créancier
La simple attribution juridique de la créance par l’acte de saisie ne suffit pas à désintéresser le créancier. Seule la remise matérielle des fonds par le tiers saisi constitue un paiement satisfactoire. Ce paiement doit être non seulement efficace, mais sa réalisation pèse sur le créancier lui-même, qui doit accomplir les diligences nécessaires sous peine de voir ses droits amoindris.
A. Les différentes formes de paiement effectif par le tiers saisi
Le paiement se matérialise par la mise à disposition des fonds au profit du créancier ou de son mandataire, comme un commissaire de justice (anciennement huissier de justice). Plusieurs instruments peuvent être utilisés, mais tous ne se valent pas en termes d’efficacité juridique immédiate. Le paiement par chèque, bien que courant, ne libère le tiers saisi et ne satisfait le créancier qu’au moment de son encaissement effectif, conformément à l’art. L. 131-67 du Code monétaire et financier. La simple remise du chèque ne suffit pas. En revanche, pour le calcul des intérêts, la jurisprudence (par exemple, un arrêt de janvier 2023) retient la date de remise du chèque, considérant que le créancier est alors en mesure d’accomplir les diligences pour l’encaisser.
Le paiement par virement bancaire est de plus en plus privilégié pour sa sécurité. Dans ce cas, le paiement n’est considéré comme effectif qu’au moment de l’inscription de la somme au crédit du compte du créancier bénéficiaire. Un simple ordre de virement ou une écriture au débit du compte du tiers saisi sont insuffisants pour parfaire le paiement. Quelle que soit la méthode, la personne qui reçoit le paiement, qu’il s’agisse du créancier ou de son mandataire, doit délivrer une quittance au tiers saisi et en informer le débiteur, comme le prévoit l’art. R. 211-7 du Code des procédures civiles d’exécution. Si la créance est libellée en monnaie étrangère, le paiement doit en principe être effectué dans cette devise, le créancier ne pouvant imposer au tiers saisi les frais de change.
B. Le recouvrement forcé et les recours contre le tiers saisi défaillant
L’acte de saisie-attribution, qui remplace l’ancien verbal de saisie, rend le tiers personnellement débiteur du créancier saisissant. En conséquence, un refus de paiement de sa part, alors qu’il a reconnu sa dette ou qu’un jugement a statué en ce sens, ouvre une voie de recours spécifique. Le créancier peut alors saisir le juge de l’exécution pour obtenir un titre exécutoire directement à l’encontre du tiers saisi, comme le dispose l’art. R. 211-9 du Code des procédures civiles d’exécution. Cette procédure judiciaire n’est pas une simple formalité : il faut rédiger et signifier une assignation pour porter le débat devant le tribunal, garantissant un débat contradictoire où le tiers peut exposer les motifs de son refus, par exemple l’existence d’un concours avec d’autres créanciers saisissants. Ce recours n’est possible que si la dette du tiers saisi est incontestée ou judiciairement établie. Si le tiers a nié être débiteur et qu’aucune condamnation n’est intervenue, le créancier ne peut obtenir de titre exécutoire sur ce fondement. Il devra alors agir sur le terrain de la responsabilité pour déclaration inexacte ou mensongère.
C. La diligence du créancier saisissant et les risques de déchéance de ses droits
Le recouvrement de la créance est un droit pour le créancier, mais c’est également une charge qui lui incombe. Il doit activement requérir le paiement auprès du tiers saisi. S’il reste inactif et que ce manque de diligence cause un préjudice au débiteur, par exemple parce que le tiers saisi est devenu insolvable entre-temps, le créancier peut être sanctionné. L’art. R. 211-8 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit une sanction originale : la déchéance des droits du créancier contre le débiteur saisi, à concurrence des sommes qui étaient dues par le tiers. Autrement dit, si le défaut de paiement est imputable à la négligence du créancier, celui-ci perd son recours contre son débiteur initial pour la part correspondante. La jurisprudence caractérise la négligence par une inaction prolongée : absence de mise en demeure, absence d’information du débiteur sur les difficultés de paiement, et surtout, absence de toute initiative pour engager une action en recouvrement forcé contre le tiers saisi et ainsi récupérer l’argent dû.
II. Les conditions d’un paiement complet et les spécificités des créances saisies
Pour être pleinement satisfactoire, le paiement du tiers saisi doit couvrir l’intégralité des causes de la saisie. Celles-ci ne se limitent pas au principal de la créance ; elles incluent les frais de procédure et les intérêts, dans la limite de l’obligation du tiers lui-même.
A. Intégration des frais de procédure et des intérêts moratoires dans le paiement
Les « causes de la saisie » comprennent le principal de la dette, les frais de la procédure d’exécution et les intérêts moratoires. L’acte de saisie initial contient un décompte qui inclut une provision pour les intérêts à échoir durant le mois de contestation. Cependant, ce montant est souvent approximatif. En cas de contestation du débiteur, le paiement est retardé, et le montant final des intérêts dus au jour du paiement effectif sera supérieur à la provision initiale. Le créancier est en droit d’exiger cette actualisation de la somme due. Inversement, si le débiteur autorise un paiement anticipé, le montant des intérêts devra être recalculé à la baisse.
B. Analyse des limites d’obligation du tiers saisi et des créances à exécution successive
Le paiement du tiers saisi est toujours plafonné par le montant de sa propre dette envers le débiteur au jour de la saisie. Il ne peut être contraint de payer au-delà de ce qu’il doit, même si la créance du saisissant est plus élevée. Des situations particulières complexifient la détermination de ce paiement. Une attention particulière doit être portée au paiement des créances périodiques, comme les loyers ou les rentes, qui obéissent au régime spécifique des créances à exécution successive. Le tiers saisi effectue alors des versements fractionnés, mois après mois, au fur et à mesure des échéances. La saisie prend fin soit lorsque la dette du créancier est intégralement remboursée, soit lorsque l’obligation du tiers envers le débiteur s’éteint (par exemple, à la fin d’un bail). La loi impose une obligation d’information réciproque : le créancier doit informer le tiers de l’extinction de la dette, et le tiers doit informer le créancier de la fin de son engagement.
Une autre spécificité concerne les saisies effectuées entre les mains d’un comptable public, une opération qui se rapproche dans son esprit d’une saisie administrative. En raison de règles strictes de comptabilité publique, un comptable qui paierait sans autorisation engagerait sa responsabilité personnelle et pécuniaire. De plus, pour les créances à exécution successive, l’art. L. 143-2 du Code des procédures civiles d’exécution impose au créancier de renouveler sa saisie tous les cinq ans, sous peine de caducité.
III. La libération sécurisée du tiers saisi : autorisations de paiement et mécanismes de consignation
Pour un tiers saisi, l’enjeu majeur est de s’assurer que le paiement qu’il effectue est bien libératoire. Payer la mauvaise personne ou au mauvais moment l’expose au risque de devoir payer une seconde fois. Le législateur a donc mis en place des mécanismes stricts d’autorisation et de consignation pour sécuriser cette étape.
A. L’autorisation préalable de payer : fondements, formes et sanctions
Le principe est clair : le tiers saisi ne peut payer le créancier que sur présentation d’une autorisation. Cette autorisation de paiement marque le passage d’une phase d’indisponibilité à une phase d’exécution, qui peut faire suite à l’étape antérieure de la saisie conservatoire visant à garantir la créance. Il existe trois formes d’autorisation :
- Le certificat de non-contestation : Si le débiteur ne conteste pas la saisie dans le délai d’un mois suivant la dénonciation de la saisie, le créancier peut obtenir un certificat de non-contestation auprès du greffe ou du commissaire de justice (anciennement l’huissier instrumentaire) ayant pratiqué la saisie. La présentation de ce document au tiers saisi l’autorise à payer.
- La déclaration du débiteur : Le débiteur peut, par écrit, déclarer ne pas contester la saisie et autoriser le paiement avant même l’expiration du délai d’un mois. Cette autorisation lève l’interdiction de payer et permet une libération anticipée du tiers saisi.
- La décision du juge de l’exécution : En cas de contestation, le paiement est suspendu. Il ne pourra intervenir que sur présentation d’une décision du juge – souvent une ordonnance – rejetant la contestation ou autorisant un paiement provisionnel.
La sanction d’un paiement effectué sans l’une de ces autorisations est son inopposabilité au débiteur ou aux autres créanciers. Concrètement, si la contestation du débiteur est finalement jugée fondée, le tiers saisi qui a payé prématurément devra payer une seconde fois, cette fois-ci entre les mains de son créancier initial (le débiteur saisi) ou d’un autre créancier légitime.
B. Le régime de la consignation des sommes saisies : généralités et cas particuliers
Face à une situation complexe ou litigieuse, le tiers saisi dispose d’une autre solution pour se libérer : la consignation. L’art. R. 211-2 du Code des procédures civiles d’exécution permet à toute partie intéressée de demander que les sommes saisies soient versées entre les mains d’un séquestre (souvent la Caisse des dépôts et consignations), désigné à l’amiable ou par le juge de l’exécution sur requête. La remise des fonds au séquestre a un effet libératoire majeur pour le tiers saisi : elle arrête le cours des intérêts qu’il pourrait devoir. En revanche, elle ne satisfait pas le créancier, qui ne sera payé que lorsque le litige sera tranché et que le séquestre recevra l’ordre de lui remettre les fonds. Ce mécanisme devient obligatoire en cas de contestation d’une saisie portant sur une créance à exécution successive. Le tiers saisi doit alors verser les échéances au fur et à mesure entre les mains du séquestre, tant que la contestation n’est pas jugée.
IV. Défis spécifiques : saisie sur comptes joints, régimes matrimoniaux et fonds insaisissables
La simplicité apparente de la saisie d’un compte bancaire se heurte à la complexité des situations personnelles des débiteurs. Les régimes matrimoniaux et la protection de fonds vitaux insaisissables créent des défis particuliers pour le créancier saisissant et le banquier tiers saisi.
A. Impact des régimes matrimoniaux sur la saisie-attribution des comptes joints
La saisie d’un compte joint pour recouvrer la dette personnelle d’un seul des cotitulaires (titulaire du compte en son nom propre) est une source fréquente de contentieux. Les règles applicables dépendent du régime matrimonial des époux. Sous le régime de la communauté légale, les fonds déposés sur un compte joint sont présumés être des biens communs (art. 1402 du Code civil). Un créancier dont la dette est née pendant le mariage peut en principe saisir la totalité du solde. Toutefois, si le conjoint non-débiteur démontre que le compte est exclusivement alimenté par ses revenus propres, la saisie peut être annulée.
Sous le régime de la séparation de biens, la situation est inversée. Les fonds sont présumés appartenir indivisément pour moitié à chaque époux, sans solidarité active pour le tout. Le créancier ne peut donc, par principe, saisir que la moitié du solde. Pour saisir davantage, il lui incombe de prouver que les fonds appartiennent en propre et pour une part supérieure à son débiteur. La jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur ce point : la charge de la preuve pèse lourdement sur le créancier saisissant, qui doit identifier les fonds personnels de son débiteur pour justifier une saisie excédant la moitié du solde.
B. Protection des fonds insaisissables : salaires, allocations et solde bancaire insaisissable (SBI)
La loi protège une partie des ressources du débiteur, comme une fraction du salaire, pour lui garantir un minimum vital. Même lors d’une saisie sur compte bancaire, le tiers saisi, notamment la banque, a l’obligation de protéger le solde bancaire insaisissable (SBI), assurant ainsi au débiteur un minimum vital. Ce montant, équivalent à celui du RSA pour une personne seule, doit être laissé à la disposition du débiteur, quel que soit le montant de la saisie. De plus, certaines créances sont déclarées insaisissables par nature. Il s’agit notamment de la plupart des prestations sociaux et familiales (RSA, AAH, allocations familiales, etc.). Lorsqu’un compte bancaire est crédité de telles sommes, elles ne peuvent être saisies. Le débiteur doit alors fournir les justificatifs à sa banque pour obtenir la mainlevée de la saisie sur ces montants. Pour toute question sur sa situation, le client peut contacter sa banque ou un conseiller juridique. L’intervention d’un professionnel est souvent nécessaire pour s’assurer qu’aucune somme insaisissable n’est prélevée.
V. Gestion des incidents et recours : le rôle des titres exécutoires et responsabilités bancaires
La phase de paiement n’est pas exempte d’incidents, qu’il s’agisse du refus de paiement du tiers saisi ou de complications liées au moyen de paiement utilisé. En cas d’irrégularités manifestes ou d’un usage disproportionné de la procédure, une saisie jugée abusive peut non seulement être annulée, mais aussi ouvrir droit à des dommages et intérêts pour le débiteur.
A. Le certificat de non-paiement : obtention et valeur exécutoire
Dans le cas spécifique d’un paiement par chèque qui reviendrait impayé faute de provision, le porteur (le créancier saisissant) dispose d’un outil de recouvrement efficace pour récupérer les fonds. Après une seconde présentation infructueuse ou à l’expiration d’un délai de trente jours, il peut demander au banquier tiré un certificat de non-paiement. Ce document, une fois signifié au tireur (le tiers saisi), vaut commandement de payer. Si le paiement n’intervient pas dans les quinze jours, le commissaire de justice peut alors apposer la formule exécutoire sur le certificat, qui devient un titre exécutoire, au même titre qu’une décision de justice, permettant d’engager des mesures de recouvrement forcé contre le tiers saisi.
B. Incidents de paiement par chèque : oppositions et cadre de la responsabilité bancaire
Le paiement par chèque peut être paralysé par une opposition du tiers saisi. Cependant, l’opposition n’est légale que dans des cas très limités prévus par l’art. L. 131-35 du Code monétaire et financier : perte, vol, ou utilisation frauduleuse du chèque. Toute autre opposition est illicite et engage la responsabilité de son auteur. Le banquier tiré n’a pas à vérifier la véracité du motif invoqué mais doit refuser de payer un chèque frappé d’une opposition pour un motif non autorisé par la loi. En cas de paiement d’un chèque falsifié ou contrefait, la responsabilité de l’établissement bancaire peut être engagée si l’anomalie était suffisamment grossière pour être décelée par un examen diligent.
C. Conséquences civiles et répressives : interdiction bancaire et recours post-saisie
Le défaut de paiement d’un chèque par le tiers saisi peut entraîner pour ce dernier une interdiction bancaire d’émettre des chèques. Au-delà des incidents, le créancier conserve ses droits contre le débiteur saisi si le tiers saisi ne paie pas, sauf en cas de négligence de sa part (et sous réserve du délai de prescription de son titre). Au-delà des incidents de paiement, le débiteur peut également explorer les motifs pour contester une saisie-attribution elle-même, ce qui peut influencer l’issue de la procédure de paiement. Il est à noter que des mécanismes similaires existent pour les créances publiques, via la saisie administrative à tiers détenteur (SATD), une procédure administrative dont la mise en œuvre est confiée au comptable public. La complexité de ces mécanismes souligne l’importance d’un accompagnement juridique pour toutes les parties impliquées.
La procédure de paiement d’une saisie-attribution est une mécanique de précision où chaque étape est encadrée par les règles strictes du code de procédure civile d’exécution. La protection des intérêts du créancier, du débiteur et du tiers saisi repose sur le respect scrupuleux des obligations de diligence, d’information et d’autorisation. Face à la complexité des règles de paiement et des recours possibles, sécuriser vos droits nécessite l’intervention d’un avocat expert en voies d’exécution.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution
- Code civil
- Code monétaire et financier
- Code de commerce