La crise financière de 2008 a mis en lumière la nécessité de mieux encadrer les défaillances bancaires pour protéger les contribuables et la stabilité économique. La directive européenne BRRD (Bank Recovery and Resolution Directive), initialement adoptée en 2014 (Directive 2014/59/UE) et révisée par la BRRD II en 2019 (Directive (UE) 2019/879), constitue la pierre angulaire de ce nouveau régime. Elle impose aux banques et aux autorités des mécanismes précis pour anticiper et gérer les crises, marquant une étape déterminante vers une vue d’ensemble de la résolution bancaire européenne, le cadre global de l’Union Bancaire. Cet article détaille les grands axes de ce cadre réglementaire complexe mais essentiel.
Qu’est-ce que la directive sur le redressement et la résolution bancaires (BRRD) ?
La directive sur le redressement et la résolution bancaires (BRRD) établit un ensemble de règles et de procédures harmonisées au sein de l’Union européenne pour gérer les difficultés des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement. Son introduction découle directement des leçons tirées de la crise financière mondiale.
Contexte et objectifs : éviter le recours aux fonds publics (« bail-out »)
Avant la BRRD, la faillite de grandes banques menaçait souvent la stabilité financière globale, obligeant fréquemment les États à intervenir avec des fonds publics pour éviter un effondrement systémique – une pratique connue sous le nom de « bail-out ». Cette approche soulevait des questions d’aléa moral et faisait peser un lourd fardeau sur les contribuables. L’objectif fondamental de la BRRD est donc de rompre ce lien entre crises bancaires et finances publiques. Pour ce faire, elle met en place des mécanismes permettant une résolution ordonnée des banques défaillantes, en faisant supporter les pertes en premier lieu par les actionnaires et les créanciers de la banque, selon un principe de « bail-in » (renflouement interne).
La BRRD vise ainsi à préserver la stabilité financière, à assurer la continuité des fonctions critiques des banques (comme les services de paiement ou la tenue des comptes de dépôt), à protéger les déposants couverts et à minimiser le coût pour les contribuables. Elle s’inscrit dans un projet plus large de renforcement de l’architecture financière européenne, notamment à travers le Mécanisme de Résolution Unique, le rôle du CRU.
Champ d’application : établissements de crédit, entreprises d’investissement, holdings financières
Le champ d’application de la BRRD est large et couvre principalement les entités suivantes établies dans l’Union européenne, telles que définies à l’article 1er de la directive 2014/59/UE:
- Les établissements de crédit, c’est-à-dire les entreprises dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour leur propre compte[cite: 81].
- Les entreprises d’investissement qui fournissent certains services d’investissement et dont la défaillance pourrait avoir un impact systémique. La directive BRRD II a d’ailleurs précisé certains aspects concernant leur capacité d’absorption des pertes et de recapitalisation.
- Les compagnies financières holdings, les compagnies financières holdings mixtes, et certaines compagnies holdings mixtes.
- Les succursales d’établissements de pays tiers établies dans l’Union, sous certaines conditions.
Les États membres ont la possibilité d’étendre l’application de certaines de ces règles à d’autres entités financières.
Les autorités nationales de résolution : désignation et indépendance
Chaque État membre de l’Union européenne doit désigner une ou plusieurs autorités nationales de résolution (ANR). Ces autorités sont chargées de mettre en œuvre les pouvoirs et les outils de résolution prévus par la BRRD. Il peut s’agir de la banque centrale nationale, d’un ministère, ou d’une autorité administrative publique spécialement créée ou désignée. En France, cette fonction est notamment exercée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) au sein de son collège de résolution.
Un aspect fondamental est l’indépendance opérationnelle de ces autorités. Même si l’autorité de résolution est intégrée à une autre institution, comme la banque centrale ou l’autorité de surveillance, des dispositions strictes doivent être prises pour éviter les conflits d’intérêts, notamment entre les fonctions de surveillance prudentielle et celles de résolution. Le personnel dédié à la résolution doit ainsi opérer au sein d’une structure organisationnelle distincte, avec des lignes hiérarchiques séparées. Cette indépendance est une garantie pour une prise de décision objective et efficace en temps de crise.
La planification préventive : plans de redressement et de résolution
La BRRD instaure une culture de la prévention en imposant l’élaboration de plans spécifiques : les plans de redressement, préparés par les banques elles-mêmes, et les plans de résolution, établis par les autorités de résolution.
Les plans de redressement (Recovery Plans) : objectif et contenu
L’objectif principal d’un plan de redressement, comme stipulé à l’article 5 de la Directive 2014/59/UE, est de permettre à un établissement de restaurer sa viabilité financière après une détérioration significative de sa situation. Ces plans ne doivent en aucun cas tabler sur la possibilité d’un soutien financier public exceptionnel.
Élaboration par les banques (individuels et de groupe)
Toutes les entités entrant dans le champ de la BRRD sont, en principe, tenues d’élaborer et de maintenir à jour un plan de redressement. Des obligations simplifiées peuvent s’appliquer aux entités présentant un risque moindre pour la stabilité du système financier. La directive distingue les plans de redressement individuels, pour les entités qui ne font pas partie d’un groupe soumis à surveillance sur base consolidée, et les plans de redressement de groupe, élaborés par l’entreprise mère du groupe. En principe, une entité couverte par un plan de groupe n’a pas à établir de plan individuel, sauf si l’autorité compétente l’exige en raison de spécificités propres à cette entité.
Scénarios de crise et mesures envisagées (capital, liquidité)
Les plans de redressement doivent envisager une gamme de scénarios de crise sévère, tant systémiques qu’idiosyncratiques, qui pourraient impacter l’établissement. Pour chaque scénario, le plan doit détailler un éventail de mesures de redressement possibles pour restaurer la solidité financière. Ces mesures peuvent porter sur le capital (par exemple, augmentation de capital, conversion de dettes) ou la liquidité (par exemple, accès à des sources de financement d’urgence, cession d’actifs). L’EBA a fourni des orientations sur l’éventail de scénarios à appliquer.
Indicateurs de déclenchement
Un élément essentiel des plans de redressement est le cadre d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs. Ces indicateurs, qui peuvent être basés sur le capital, la liquidité, la rentabilité ou la qualité des actifs, sont conçus pour signaler une détérioration de la situation financière de la banque à un stade précoce. Le plan doit spécifier les seuils de ces indicateurs qui déclencheraient la mise en œuvre des mesures de redressement envisagées ou, à tout le moins, une analyse approfondie de la situation par la direction. L’EBA a également publié des orientations sur la liste minimale de ces indicateurs.
Examen et validation par les autorités de surveillance
Les plans de redressement, une fois élaborés et approuvés par l’organe de direction de l’établissement, sont soumis à l’autorité de surveillance prudentielle compétente pour évaluation. Cette autorité examine la complétude, la crédibilité et la faisabilité du plan, en s’assurant qu’il est susceptible de restaurer la viabilité de l’établissement rapidement et efficacement, sans effets négatifs significatifs sur le système financier. L’autorité de résolution est également consultée pour évaluer si certaines mesures du plan pourraient avoir une incidence négative sur la « résolvabilité » de l’établissement. Si des lacunes importantes sont identifiées, l’autorité de surveillance peut exiger des modifications, voire imposer des mesures spécifiques à l’établissement.
Les plans de résolution (Resolution Plans) : objectif et contenu
Contrairement aux plans de redressement, les plans de résolution sont élaborés par les autorités de résolution. Leur objectif est de définir la stratégie de résolution envisagée pour un établissement si celui-ci devenait défaillant, afin de permettre une résolution rapide et ordonnée tout en minimisant l’impact sur la stabilité financière et l’économie réelle, et sans recourir à un soutien financier public exceptionnel.
Élaboration par les autorités de résolution
L’autorité de résolution compétente pour un établissement (ou l’autorité de résolution de groupe pour les groupes transfrontaliers) est responsable de l’élaboration du plan de résolution. Cela se fait en consultation avec l’autorité de surveillance et, le cas échéant, avec d’autres autorités de résolution concernées (par exemple, celles des États membres où sont implantées des succursales significatives). L’établissement concerné a une obligation de coopération et doit fournir toutes les informations nécessaires à l’élaboration du plan. Le SRMR précise le rôle du Conseil de Résolution Unique (CRU) dans l’élaboration de ces plans pour les entités les plus importantes de l’Union bancaire.
Évaluation de la « résolvabilité » d’un établissement
Une étape clé dans l’élaboration d’un plan de résolution est l’évaluation de la « résolvabilité » de l’établissement. Il s’agit de déterminer si l’établissement peut être mis en résolution de manière crédible et faisable, en utilisant les outils de résolution prévus par la BRRD, tout en assurant la continuité de ses fonctions critiques et en évitant une contagion indue au système financier. Cette évaluation tient compte de la structure juridique et opérationnelle de la banque, de la localisation de ses activités critiques, de ses systèmes d’information, etc.. L’EBA a développé des normes techniques sur le contenu de cette évaluation.
Identification et suppression des obstacles à la résolution
Si l’évaluation de la résolvabilité met en évidence des obstacles importants (par exemple, une structure juridique trop complexe, une incapacité à séparer les fonctions critiques, des systèmes d’information inadéquats), l’autorité de résolution en informe l’établissement. Celui-ci dispose alors d’un délai pour proposer des mesures visant à remédier à ces obstacles. Si les propositions sont jugées insuffisantes, l’autorité de résolution a le pouvoir d’exiger de l’établissement qu’il prenne des mesures spécifiques pour supprimer ces obstacles. Ces mesures peuvent inclure la modification des structures juridiques ou opérationnelles, la cession de certains actifs ou activités, la création d’une compagnie financière holding mère, ou l’émission d’engagements éligibles pour satisfaire aux exigences MREL. Pour les groupes, ce processus est mené au sein du collège des autorités de résolution.
L’intervention précoce des autorités de surveillance
Avant qu’une situation ne dégénère au point de nécessiter une résolution, la BRRD confère aux autorités de surveillance prudentielle des pouvoirs d’intervention précoce, prévus aux articles 27 à 30 de la directive. Ces mesures visent à remédier rapidement à une détérioration de la situation financière d’un établissement ou à une infraction aux exigences réglementaires.
Conditions de déclenchement : risque d’infraction réglementaire, détérioration financière
Les mesures d’intervention précoce peuvent être déclenchées lorsqu’un établissement enfreint, ou est susceptible d’enfreindre dans un avenir proche, les exigences prudentielles qui lui sont applicables (issues notamment du règlement CRR ou de la directive CRD IV). Une simple anticipation d’une infraction suffit donc. La détérioration de la situation financière, une augmentation de l’effet de levier, une hausse des prêts non performants, ou une concentration excessive des risques sont des exemples de situations pouvant justifier une telle intervention. L’EBA a publié des orientations sur les facteurs de déclenchement de ces mesures.
Mesures possibles : exigences renforcées, demande d’actions spécifiques, révision de la stratégie
L’autorité de surveillance dispose d’une palette de mesures graduées. Elle peut, par exemple :
- Exiger de l’établissement qu’il mette en œuvre des actions prévues dans son plan de redressement ou qu’il élabore et applique un programme d’actions spécifiques.
- Demander la convocation d’une assemblée générale des actionnaires pour approuver des mesures urgentes.
- Exiger des modifications de la stratégie commerciale, de la structure juridique ou opérationnelle de l’établissement.
- Imposer à l’établissement de contacter des acquéreurs potentiels pour préparer une éventuelle résolution, en coordination avec l’autorité de résolution.
Mesures plus intrusives : destitution des dirigeants, nomination d’un administrateur temporaire
Si la situation se dégrade significativement, ou en cas d’infractions graves ou d’irrégularités administratives, et si les premières mesures s’avèrent insuffisantes, l’autorité de surveillance peut prendre des mesures plus intrusives. Elle peut notamment, comme le prévoit l’article 28 de la BRRD, destituer un ou plusieurs membres de la direction générale ou de l’organe de direction jugés inaptes.
Si même la destitution des dirigeants ne suffit pas, l’article 29 de la BRRD permet à l’autorité de surveillance de nommer un administrateur temporaire. Celui-ci peut remplacer l’organe de direction ou travailler avec lui pour une durée maximale d’un an (renouvelable exceptionnellement). Ses pouvoirs sont définis par l’autorité de surveillance et visent à redresser la situation financière de l’établissement ou à assurer une saine gestion en attendant d’autres mesures. Pour les groupes, la décision de nommer un administrateur temporaire au niveau de l’entreprise mère est prise par l’autorité de surveillance sur base consolidée, en consultation avec les autres autorités concernées.
Les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution
Le passage à une procédure de résolution est une étape majeure, qui n’est envisagée que lorsque des conditions strictes sont remplies, comme le détaille l’article 32 de la BRRD.
La constatation d’une défaillance avérée ou prévisible
La première condition est qu’un établissement soit en situation de défaillance avérée ou qu’il soit objectivement prévisible qu’il le sera dans un avenir proche (« Failing Or Likely To Fail » – FOLTF). Une défaillance peut se manifester de plusieurs manières:
- L’établissement enfreint ou risque d’enfreindre les conditions de son agrément de manière significative, notamment en raison de pertes ayant absorbé une part substantielle de ses fonds propres.
- Ses actifs sont inférieurs à ses passifs.
- Il est incapable, ou sera prochainement incapable, d’honorer ses dettes à leur échéance.
- Il requiert un soutien financier public exceptionnel (sauf dans des cas très spécifiques prévus par la directive).
Cette constatation est généralement faite par l’autorité de surveillance compétente (comme la BCE pour les banques importantes de la zone euro), mais peut aussi, selon les droits nationaux, être établie par l’autorité de résolution elle-même.
L’absence d’alternative privée raisonnable
La deuxième condition est qu’il n’existe aucune perspective raisonnable qu’une mesure alternative du secteur privé (par exemple, une augmentation de capital par des investisseurs privés, une cession d’actifs, une reprise par un autre établissement sans intervention publique) ou une mesure d’intervention précoce (y compris la mise en œuvre du plan de redressement) puisse empêcher la défaillance de l’établissement dans un délai raisonnable.
La nécessité d’agir dans l’intérêt public (stabilité financière, protection des déposants)
Enfin, une mesure de résolution n’est prise que si elle est jugée nécessaire dans l’intérêt public. Cela signifie que la résolution doit être préférable à une procédure normale d’insolvabilité pour atteindre les objectifs de la résolution, tels que :
- Assurer la continuité des fonctions critiques de l’établissement.
- Éviter des effets négatifs importants sur la stabilité financière, notamment en prévenant la contagion.
- Protéger les fonds publics en minimisant le recours à un soutien financier public exceptionnel.
- Protéger les déposants couverts et les investisseurs dans le cadre des systèmes de garantie.
Si une procédure normale d’insolvabilité permet d’atteindre ces objectifs de manière équivalente sans faire peser de risques supplémentaires sur la stabilité financière, alors la résolution n’est pas considérée comme étant dans l’intérêt public.
L’étape cruciale de la valorisation indépendante de la banque
Avant de prendre toute mesure de résolution, et même avant de décider la dépréciation ou la conversion d’instruments de capital, l’article 36 de la BRRD impose qu’une valorisation « juste, prudente et réaliste » des actifs et des passifs de l’établissement soit effectuée. Cette valorisation doit être réalisée par une personne indépendante de toute autorité publique et de l’établissement lui-même, afin d’assurer son objectivité.
L’objectif de cette valorisation est multiple :
- Éclairer la décision sur la réunion des conditions de résolution.
- Déterminer l’ampleur des pertes à absorber et le niveau de recapitalisation nécessaire.
- Guider le choix des instruments de résolution à appliquer et leur calibrage (par exemple, le montant des engagements à convertir en cas de bail-in).
- S’assurer du respect du principe selon lequel aucun créancier ne doit subir de pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies en cas de liquidation selon une procédure d’insolvabilité normale (« No Creditor Worse Off » – NCWO).
En cas d’urgence, une valorisation provisoire peut être effectuée par l’autorité de résolution, qui devra être suivie dès que possible par une valorisation définitive et indépendante. Cette valorisation provisoire peut inclure une marge pour pertes supplémentaires afin de tenir compte des incertitudes.
Les instruments de résolution prévus par la BRRD
Une fois les conditions de résolution remplies et la valorisation effectuée, l’autorité de résolution dispose d’une boîte à outils, définie principalement aux articles 37 à 55 de la BRRD, pour gérer la défaillance de l’établissement. L’objectif est de choisir l’instrument ou la combinaison d’instruments la plus appropriée pour atteindre les objectifs de résolution de manière efficace.
Le pouvoir de dépréciation et conversion des instruments de capital (CET1, AT1, T2)
Avant ou en même temps que l’application d’autres instruments de résolution, l’article 59 de la BRRD confère aux autorités de résolution le pouvoir de déprécier la valeur nominale des instruments de fonds propres et des engagements éligibles, ou de les convertir en instruments de fonds propres de base de catégorie 1 (CET1). Cette mesure vise à absorber les pertes et à recapitaliser la banque. L’ordre d’absorption des pertes est strict : d’abord les instruments de CET1 (actions ordinaires), puis les instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 (AT1), et enfin les instruments de fonds propres de catégorie 2 (T2). Cette hiérarchie vise à s’assurer que les actionnaires et les détenteurs d’instruments de capital plus risqués sont les premiers à contribuer à l’absorption des pertes avant que les autres créanciers ne soient affectés, et notamment avant tout recours à l’instrument de renflouement interne sur d’autres passifs. Le SRMR, en son article 21, détaille également les conditions de cette dépréciation et conversion pour les entités relevant du Mécanisme de Résolution Unique.
L’instrument de cession des activités (Sale of Business)
Prévu à l’article 38 de la BRRD, cet instrument permet à l’autorité de résolution de transférer des actions ou autres titres de propriété émis par l’établissement soumis à résolution, ou tout ou partie de ses actifs, droits ou engagements, à un acquéreur privé. Le consentement des actionnaires de l’établissement défaillant n’est pas requis pour ce transfert. L’acquéreur, en revanche, doit consentir à l’opération. L’autorité de résolution doit chercher à obtenir le meilleur prix possible dans des conditions de marché transparentes et non discriminatoires, tout en agissant avec la célérité requise par la situation. L’objectif est de préserver la continuité des activités cédées et de maximiser la valeur pour les créanciers restants de l’entité en résolution. Le SRMR, en son article 24, encadre également cet outil pour les banques de l’Union bancaire.
L’instrument de l’établissement-relais (Bridge Institution)
Lorsque la cession immédiate des activités à un acquéreur privé n’est pas possible ou souhaitable, l’article 40 de la BRRD permet la création d’un établissement-relais. Il s’agit d’une entité détenue en totalité ou en partie par une ou plusieurs autorités publiques et contrôlée par l’autorité de résolution. Les actions, actifs, droits ou engagements de la banque défaillante (ou une partie de ceux-ci) peuvent lui être transférés temporairement. L’établissement-relais a pour vocation d’assurer la continuité des fonctions critiques et de gérer les activités transférées en vue d’une vente ultérieure à un ou plusieurs acquéreurs privés, lorsque les conditions de marché seront plus favorables. L’établissement-relais doit opérer en vue d’être cédé et sa durée d’existence est limitée, en principe à deux ans, prolongeable sous conditions. L’article 25 du SRMR traite de cet instrument au sein du MRU.
L’instrument de séparation des actifs (Asset Separation)
L’instrument de séparation des actifs, décrit à l’article 42 de la BRRD, permet de transférer des actifs, droits ou engagements d’un établissement soumis à résolution (ou d’un établissement-relais) vers une structure de gestion d’actifs (souvent appelée « bad bank »). L’objectif est d’isoler les actifs « toxiques » ou difficiles à valoriser afin de nettoyer le bilan de l’établissement (ou de l’établissement-relais) et ainsi de faciliter son fonctionnement ou sa vente. La structure de gestion d’actifs est contrôlée par l’autorité de résolution et a pour mission de gérer les actifs transférés en vue de maximiser leur valeur par une cession ou une liquidation ordonnée sur une période appropriée. Cet instrument ne peut être utilisé qu’en combinaison avec un autre instrument de résolution, comme précisé à l’article 37(5) de la BRRD. L’article 26 du SRMR concerne cet outil.
L’instrument de renflouement interne (Bail-in) : principe et passifs concernés/exclus
Le renflouement interne, ou « bail-in », est l’un des instruments les plus emblématiques de la BRRD, détaillé aux articles 43 à 55. Son principe fondamental est de faire absorber les pertes et de recapitaliser une banque défaillante par ses actionnaires et une large gamme de ses créanciers, plutôt que par les contribuables. Concrètement, l’autorité de résolution peut exercer son pouvoir de réduire la valeur nominale des engagements éligibles (dettes non garanties, certains dépôts au-delà du seuil de garantie) ou de les convertir en instruments de fonds propres (actions) de l’établissement restructuré ou d’une nouvelle entité.
Une hiérarchie stricte des créances doit être respectée : les actionnaires absorbent les pertes en premier, suivis par les détenteurs d’instruments de capital subordonnés (AT1, T2), puis par les autres créanciers subordonnés, et enfin par les créanciers seniors non garantis. Certains passifs sont explicitement exclus du bail-in, comme le prévoit l’article 44(2) de la BRRD: il s’agit notamment des dépôts couverts par le système de garantie des dépôts (jusqu’à 100 000 euros par déposant et par banque), des engagements garantis (dans la limite de la valeur du collatéral), des engagements envers les salariés (salaires, pensions), de certaines dettes commerciales à court terme ou encore des engagements envers les systèmes de paiement et de règlement. Dans des circonstances exceptionnelles, l’autorité de résolution peut exclure d’autres passifs du bail-in si cela est nécessaire pour assurer la continuité des fonctions critiques ou éviter une contagion généralisée, à condition que les pertes soient absorbées par d’autres créanciers ou, en dernier recours et sous conditions très strictes, par le fonds de résolution. L’article 27 du SRMR, modifié par le SRMR II, régit l’application du bail-in dans le cadre du MRU. La mise en œuvre du bail-in doit s’accompagner d’un plan de réorganisation des activités de l’établissement.
Les exigences minimales de fonds propres et passifs éligibles (MREL)
Pour s’assurer que les banques disposent d’une capacité suffisante pour absorber les pertes et être recapitalisées en cas de résolution, sans faire appel aux fonds publics, la BRRD (article 45 et suivants, substantiellement modifiés par BRRD II) introduit l’exigence minimale de fonds propres et d’engagements éligibles (MREL). Le SRMR détaille également ces exigences pour les banques de l’Union bancaire.
Objectif : assurer une capacité d’absorption des pertes et de recapitalisation
L’objectif principal de la MREL est de garantir qu’une banque dispose en permanence d’un montant suffisant de fonds propres et d’instruments de dette spécifiques (les « engagements éligibles ») qui peuvent être dépréciés ou convertis en fonds propres (bail-in) en cas de résolution. Cette capacité doit être suffisante pour couvrir les pertes qui auraient conduit à la défaillance et pour recapitaliser la banque (ou l’entité qui lui succède) afin qu’elle puisse continuer à opérer, maintenir la confiance des marchés et respecter durablement les conditions de son agrément. L’autorité de résolution fixe le niveau de MREL pour chaque établissement, sur une base individuelle et consolidée, en tenant compte de sa taille, de son profil de risque, de sa stratégie de résolution et des fonctions critiques qu’il assure.
Convergence avec la norme internationale TLAC pour les grandes banques
Au niveau international, le Conseil de Stabilité Financière (CSF) a développé une norme similaire pour les banques d’importance systémique mondiale (G-SIBs) : la capacité totale d’absorption des pertes (Total Loss-Absorbing Capacity – TLAC). La BRRD II et le SRMR II ont largement aligné le cadre MREL de l’Union européenne sur les exigences de la TLAC pour les G-SIBs européennes et ont introduit des exigences spécifiques pour d’autres grandes banques (les « banques de premier rang »). Cette convergence vise à assurer des conditions de concurrence équitables au niveau mondial et à renforcer la résolvabilité des grandes institutions financières internationales. Ainsi, les G-SIBs doivent respecter des ratios MREL/TLAC minimums exprimés à la fois en pourcentage de leurs actifs pondérés des risques (RWA) et en pourcentage de leur exposition au ratio de levier.
Critères d’éligibilité des instruments
Tous les passifs ne peuvent pas compter pour la MREL. Pour qu’un instrument de dette soit considéré comme un « engagement éligible », il doit remplir des critères stricts définis notamment à l’article 72 bis et suivants du Règlement sur les exigences de fonds propres (CRR), tels qu’introduits ou modifiés par le « Paquet Bancaire ». Ces critères visent à s’assurer que les instruments peuvent effectivement absorber les pertes en cas de résolution. Parmi les conditions clés:
- L’instrument doit être émis par l’établissement et entièrement libéré.
- Il doit avoir une échéance résiduelle d’au moins un an.
- Il ne doit pas être garanti par des sûretés, ni bénéficier de garanties qui rehausseraient son rang de créance de manière indue.
- Il ne doit pas faire l’objet d’accords de compensation qui compromettraient sa capacité à absorber les pertes.
- Les dispositions contractuelles doivent reconnaître le pouvoir de l’autorité de résolution de déprécier ou de convertir l’instrument.
- L’instrument doit être subordonné à certains passifs exclus de la MREL (comme les dépôts garantis, les dettes opérationnelles privilégiées). La BRRD II a d’ailleurs introduit une nouvelle catégorie de dette « senior non privilégiée » pour faciliter le respect de ces exigences de subordination par les banques.
Le respect de ces critères est essentiel pour que l’architecture de la MREL soit crédible et opérationnelle.
Garanties et protection des créanciers et actionnaires
Si la BRRD vise à faire supporter les pertes par les actionnaires et les créanciers, elle prévoit également des garde-fous pour assurer un traitement équitable et éviter une instabilité excessive.
Le principe « No Creditor Worse Off » (NCWO)
Un principe fondamental de la BRRD, énoncé notamment à ses articles 34(1)(g) et 73, est celui selon lequel aucun créancier ne doit subir de pertes plus importantes du fait de l’application des mesures de résolution que celles qu’il aurait encourues si l’établissement avait été liquidé selon une procédure normale d’insolvabilité. Ce principe est connu sous l’acronyme NCWO (« No Creditor Worse Off »). Pour garantir son respect, une valorisation ex-post doit être réalisée par une personne indépendante après la mise en œuvre des mesures de résolution. Si cette valorisation révèle qu’un créancier (ou un actionnaire) a été moins bien traité qu’il ne l’aurait été en liquidation, il a droit à une indemnisation pour la différence, payable par le dispositif de financement pour la résolution (le fonds de résolution). Ce principe est également repris à l’article 15(1)(g) du SRMR.
Protection spécifique pour certains contrats (garanties, compensation, dépôts couverts)
La BRRD (articles 76 à 80) prévoit des protections spécifiques pour certains types de contrats et d’arrangements afin d’éviter des perturbations inutiles et de préserver la stabilité des marchés financiers lors d’un transfert partiel d’actifs et de passifs dans le cadre d’une résolution. Il s’agit notamment de :
- Contrats de garantie financière et accords de compensation (netting) : L’autorité de résolution doit s’efforcer de transférer ensemble les droits et obligations couverts par de tels accords ou, si ce n’est pas possible, de ne pas « casser » ces arrangements de manière à préserver leur efficacité économique.
- Obligations garanties (covered bonds) : Des dispositions visent à protéger les détenteurs d’obligations garanties en assurant que le pool d’actifs de couverture reste affecté au service de ces obligations.
- Systèmes de paiement et de règlement : L’autorité de résolution doit prendre des mesures pour assurer la continuité de l’accès de l’établissement (ou de l’entité qui lui succède) à ces infrastructures essentielles.
- Dépôts couverts : Comme mentionné précédemment, les dépôts couverts par un système de garantie des dépôts (jusqu’à 100 000 euros par déposant et par banque dans l’UE) sont intégralement protégés et exclus du bail-in.
Ces protections visent à maintenir la confiance et à limiter les effets de contagion lors d’une procédure de résolution.
Le cadre de résolution bancaire instauré par la BRRD est dense et ses implications sont majeures pour les établissements financiers opérant en Europe. Comprendre ses mécanismes est indispensable pour naviguer cet environnement réglementaire. Si votre établissement est concerné par ces obligations ou si vous souhaitez une analyse spécifique, notre expertise en droit bancaire peut vous accompagner. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté en matière de réglementation bancaire, prenez contact avec notre équipe d’avocats en faisant appel à un avocat en droit bancaire.
Sources
- Directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.
- Directive (UE) 2019/879 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 modifiant la directive 2014/59/UE en ce qui concerne la capacité d’absorption des pertes et de recapitalisation des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et la directive 98/26/CE.
- Code monétaire et financier (articles pertinents sur la transposition, notamment L. 613-35 et suivants).