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Conflit d’intérêt banque-client : identifier et gérer les risques

Table des matières

La relation qui unit une banque à son client repose sur des principes fondamentaux de loyauté et de confiance. Pourtant, la nature même des activités bancaires, multiples et parfois divergentes, peut générer des situations où les intérêts de la banque entrent en opposition avec ceux de son client. Ces conflits d’intérêts, s’ils ne sont pas correctement identifiés et gérés, peuvent avoir des conséquences préjudiciables pour le client et engager la responsabilité du banquier. Il est donc essentiel de comprendre ce phénomène, d’en reconnaître les manifestations et de connaître les mécanismes de prévention et de recours existants.

Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêt dans la relation bancaire ?

Un conflit d’intérêts survient lorsque l’établissement bancaire se trouve partagé entre plusieurs obligations ou intérêts contradictoires, l’empêchant potentiellement d’agir au mieux des intérêts de son client. Cette situation peut découler de la structure même de la banque ou des différentes fonctions qu’elle exerce.

Définition juridique et enjeux (loyauté, confiance)

Juridiquement, un conflit d’intérêts dans le secteur bancaire naît lorsque l’intérêt propre de la banque interfère avec l’obligation de loyauté qu’elle doit à son client. Ce dernier s’adresse à son banquier en lui faisant confiance, attendant de lui qu’il agisse dans son intérêt. Le devoir de loyauté impose à la banque de ne pas exploiter la relation à son propre avantage au détriment du client.

La déontologie bancaire, bien que parfois perçue comme relevant de la « soft law », insiste sur cette nécessité de privilégier l’intérêt du client. La crédibilité du système bancaire repose largement sur le respect de cette confiance. Un conflit d’intérêts mal géré érode cette confiance et peut justifier une action en justice. L’enjeu est donc double : préserver la relation individuelle banque-client et maintenir la confiance générale dans le secteur.

Distinction avec le conflit entre deux clients

Il est important de distinguer le conflit d’intérêts entre la banque et son client de celui qui oppose deux clients de la même banque. Dans ce second cas, la banque détient des informations confidentielles sur deux parties aux intérêts divergents (par exemple, lors d’une opération de fusion-acquisition entre deux entreprises clientes). La gestion de ces conflits inter-clients obéit à des règles spécifiques, notamment en matière de secret professionnel et de mise en place de « murailles de Chine ». Le conflit banque-client, lui, concerne directement l’opposition entre l’intérêt commercial ou stratégique de la banque et les devoirs qu’elle a envers un client donné.

Illustrations concrètes de conflits entre la banque et son client

Les situations de conflit d’intérêts entre une banque et son client peuvent prendre diverses formes, souvent subtiles mais aux conséquences potentiellement importantes.

Désengagement du financement pour raisons internes

Une banque peut décider de cesser de financer une entreprise, non pas en raison de la situation financière de cette dernière, mais à cause d’une réorientation de sa propre politique commerciale ou d’une analyse interne de ses risques. Par exemple, elle peut choisir de se retirer d’un secteur d’activité jugé moins rentable ou plus risqué. Ce désengagement, s’il est brutal et ne tient pas compte des engagements pris ou de la situation du client, peut constituer un conflit d’intérêts : la banque privilégie sa stratégie interne au détriment de la continuité de l’exploitation de son client. La jurisprudence analyse ces situations sous l’angle de la rupture abusive de crédit, mais la motivation interne de la banque peut révéler un conflit d’intérêts sous-jacent.

Proposition de produits financiers ‘maison’ ou à forte commission

Un conflit d’intérêts manifeste survient lorsque la banque incite son client à souscrire à des produits financiers complexes ou structurés, non pas parce qu’ils sont les plus adaptés à son profil, mais parce qu’ils génèrent des commissions élevées pour l’établissement. C’est le cas des produits dits « maison », conçus et distribués par la banque ou ses filiales. La banque peut être tentée de privilégier ces produits au détriment d’autres options potentiellement plus avantageuses pour le client mais moins rémunératrices pour elle. Cette pratique contrevient directement au devoir de la banque d’agir au mieux des intérêts de son client, surtout si celui-ci n’est pas averti des subtilités et des risques associés.

La banque à la fois prêteur et actionnaire/conseil de l’emprunteur

La situation se complexifie lorsque la banque cumule plusieurs rôles auprès d’une même entreprise. Une banque qui est à la fois prêteur et actionnaire significatif, voire membre des organes de direction, se trouve dans une position délicate. Ses décisions de crédit peuvent être influencées par ses intérêts d’actionnaire, et inversement. De même, si la banque conseille l’entreprise sur une opération (fusion, acquisition, restructuration) tout en étant son principal financeur, un conflit d’intérêts est patent. L’information privilégiée obtenue dans le cadre d’une fonction peut influencer les décisions prises dans le cadre de l’autre, potentiellement au détriment de l’entreprise ou d’autres créanciers.

Cas de l’assurance-vie adossée à des titres émis par la banque

Un cas fréquent de conflit d’intérêts concerne la commercialisation de contrats d’assurance-vie dont les unités de compte sont investies dans des titres (obligations, titres de créance) émis par la banque elle-même ou une entité de son groupe. Le groupe bancaire se retrouve alors juge et partie : il est à la fois l’émetteur du titre, le distributeur du contrat d’assurance, et parfois même l’organisme qui valorise le titre sous-jacent. L’ACPR a d’ailleurs pointé les risques spécifiques liés à la fixation du taux à l’émission et à la valorisation en cas de rachat anticipé. L’intérêt de la banque (placer ses propres titres, les valoriser favorablement) peut entrer en conflit direct avec celui du client (obtenir le meilleur rendement, une valorisation juste en cas de sortie). Une information claire sur cette situation est indispensable.

Comment la banque doit-elle gérer ces conflits ?

Face aux risques inhérents à leurs activités multiples, les banques sont soumises à des obligations strictes pour prévenir et gérer les conflits d’intérêts bancaires. La réglementation, notamment européenne (directive MIF), impose un cadre précis.

Le devoir de privilégier l’intérêt du client : mythe ou réalité ?

Le principe fondamental voudrait que la banque agisse toujours au mieux des intérêts de son client. En théorie, en cas de conflit, l’intérêt du client devrait primer sur celui de la banque. Cependant, la réalité économique et la nature commerciale de l’activité bancaire rendent ce principe parfois difficile à appliquer. La banque reste une entreprise avec ses propres objectifs de rentabilité. Si la réglementation impose des mécanismes pour gérer les conflits, l’idée d’une primauté absolue et systématique de l’intérêt du client relève sans doute plus d’un idéal déontologique que d’une pratique constante et garantie. La réalité est souvent une recherche d’équilibre, encadrée par des obligations légales et réglementaires précises.

L’obligation d’information claire et transparente (CMF art. L.533-10)

Lorsque les mesures organisationnelles internes (comme les murailles de Chine) ne suffisent pas à prévenir un conflit d’intérêts, l’article L. 533-10 du Code monétaire et financier impose une obligation d’information claire et transparente envers le client. La banque doit, avant d’agir, informer le client de la nature générale et de la source du conflit. Cette information doit être fournie sur un support durable et être suffisamment détaillée, compte tenu du profil du client (particulier, professionnel, averti ou non), pour lui permettre de prendre sa décision en toute connaissance de cause. Manquer à cette obligation d’information constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité bancaire PSI.

Les limites liées au secret professionnel

La gestion des conflits d’intérêts, notamment ceux opposant deux clients, se heurte souvent à l’obligation de secret professionnel (ou secret bancaire). L’article L. 511-33 du Code monétaire et financier interdit à la banque de divulguer les informations confidentielles d’un client à un autre, même si cette information permettrait d’éclairer le second sur un conflit potentiel. Si la banque ne peut informer un client d’un conflit en raison du secret dû à un autre client, la déontologie lui impose de s’abstenir d’intervenir dans l’opération litigieuse. Elle ne peut utiliser l’information confidentielle obtenue d’un client au détriment de celui-ci ou au profit d’un autre.

Le rôle crucial des procédures internes (Contrôle, Déontologue)

Pour prévenir et gérer efficacement les conflits d’intérêts, les banques doivent mettre en place des procédures internes robustes. L’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne impose un système visant à assurer la conformité aux normes professionnelles et déontologiques. Cela passe par :

  • La mise en place de « murailles de Chine » pour séparer les activités potentiellement conflictuelles (ex : analyse financière et banque d’investissement).
  • Des règles strictes sur la circulation de l’information interne (principe du « need to know »).
  • La désignation d’un déontologue chargé de surveiller le respect des règles, de gérer les conflits identifiés et de former les collaborateurs.
  • L’établissement et la mise à jour d’une cartographie des risques de conflits d’intérêts propres à l’établissement.

Le contrôle interne et la fonction de déontologue sont essentiels pour garantir l’application effective des règles et prévenir les manquements.

Quels recours pour le client qui s’estime lésé ?

Lorsqu’un client estime avoir subi un préjudice en raison d’un conflit d’intérêts mal géré par sa banque, plusieurs voies de recours s’offrent à lui.

La recherche de la responsabilité civile de la banque

Le client peut engager une action en responsabilité civile contre la banque. Selon la nature du manquement, cette action peut se fonder sur :

  • La responsabilité contractuelle (article 1231-1 du Code civil, ancien 1147) si le manquement concerne une obligation née du contrat (ex: manquement au devoir de conseil stipulé ou implicite).
  • La responsabilité extracontractuelle ou délictuelle (article 1240 du Code civil, ancien 1382) si la faute de la banque cause un préjudice en dehors d’une relation contractuelle directe ou en violation d’un devoir général de prudence (ex: diffusion d’informations trompeuses nuisant à un tiers).

Le client devra démontrer l’existence d’une faute de la banque (manquement à une obligation d’information, de mise en garde, de loyauté, mauvaise gestion du conflit), d’un préjudice certain et d’un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice.

Prouver le conflit d’intérêt et le préjudice subi (perte de chance)

La difficulté majeure pour le client réside souvent dans la preuve. Prouver l’existence du conflit d’intérêts peut être ardu, car les mécanismes internes de la banque sont opaques. Il faudra rassembler des indices, des documents (contrats, correspondances, analyses financières le cas échéant) et éventuellement solliciter des mesures d’instruction judiciaires (expertise, communication de pièces) pour établir que la banque a privilégié ses propres intérêts ou ceux d’un autre client.

Le préjudice résultant d’un conflit d’intérêts est souvent analysé comme une perte de chance : perte de la chance de ne pas contracter, de contracter à de meilleures conditions, ou d’éviter une perte financière. L’indemnisation correspondra alors à une fraction du gain manqué ou de la perte subie, proportionnelle à la probabilité que la chance perdue se réalise si la banque avait agi correctement.

L’importance de l’accompagnement par un avocat

Face à la complexité des règles bancaires et financières et aux difficultés probatoires, l’assistance d’un avocat en droit bancaire est fortement recommandée. Ce professionnel pourra :

  • Analyser la situation juridique au regard des obligations spécifiques de la banque.
  • Qualifier la nature du conflit d’intérêts et des manquements éventuels.
  • Aider à rassembler les preuves nécessaires.
  • Évaluer le préjudice subi, notamment la perte de chance.
  • Définir la meilleure stratégie contentieuse (négociation amiable, médiation, action judiciaire).
  • Représenter le client devant les tribunaux compétents.

L’expertise d’un avocat est souvent déterminante pour faire valoir efficacement les droits du client lésé par un conflit d’intérêts bancaire. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, prenez contact avec notre équipe d’avocats.

Sources

  • Code monétaire et financier, notamment articles L. 511-33, L. 533-10, L. 612-1, L. 612-29-1.
  • Code civil, notamment articles 1231-1 et 1240.
  • Arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque.
  • Directive 2004/39/CE concernant les marchés d’instruments financiers (MIF).
  • Directive 2014/65/UE concernant les marchés d’instruments financiers (MIF 2).
  • Jurisprudence citée (Cour de cassation, Cour d’appel de Paris, Tribunal de commerce de Paris).
  • Recommandations de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).

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