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Le Mécanisme de Résolution Unique (MRU) : fonctionnement et rôle du CRU et du FRU

Table des matières

Au cœur de l’Union Bancaire, le Mécanisme de Résolution Unique (MRU) a été instauré pour administrer de manière centralisée et harmonisée la défaillance des banques les plus importantes au sein des États membres participants. Ce dispositif, qui s’articule autour du Conseil de Résolution Unique (CRU) et du Fonds de Résolution Unique (FRU), constitue une avancée majeure dans la construction d’un secteur bancaire européen plus résilient et vise à préserver la stabilité financière sans que le fardeau des crises ne repose sur les contribuables. Comprendre son architecture et ses composantes est devenu indispensable pour les acteurs économiques et financiers.

Qu’est-ce que le Mécanisme de Résolution Unique (MRU) ?

Le MRU est l’un des piliers essentiels de l’Union bancaire, complétant le Mécanisme de Surveillance Unique (MSU) qui confie à la Banque Centrale Européenne (BCE) la surveillance prudentielle des principales banques de la zone euro et des autres États membres participants. L’objectif fondamental du MRU est d’assurer une gestion efficiente et coordonnée des défaillances bancaires, en particulier pour les établissements de crédit dont la chute pourrait engendrer des risques systémiques. Il vise à éviter le recours aux fonds publics pour sauver les banques et à faire en sorte que les pertes soient supportées en premier lieu par les actionnaires et les créanciers des banques, selon une hiérarchie bien définie.

Cadre réglementaire : Règlement (UE) n° 806/2014 (SRMR) et Règlement (UE) 2019/877 (SRMR II)

La pierre angulaire du MRU est le Règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014, dit SRMR (Single Resolution Mechanism Regulation). Ce règlement établit des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre du MRU et du FRU. Il confie au CRU la responsabilité principale des décisions de résolution pour les entités relevant de sa compétence.  

Le cadre réglementaire a été renforcé et précisé par le Règlement (UE) 2019/877 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019, dit SRMR II. Ce dernier modifie le SRMR, notamment en ce qui concerne la capacité d’absorption des pertes et de recapitalisation (TLAC et MREL) des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. L’objectif de SRMR II est d’améliorer encore la résolvabilité des banques et de s’assurer qu’elles disposent de suffisamment de fonds propres et d’engagements éligibles pour absorber les pertes et être recapitalisées en cas de crise, sans faire appel à l’argent public. Ces règlements s’appliquent directement dans les États membres participant à l’Union bancaire.  

Champ d’application : États membres participants, types d’entités couvertes (directement par le CRU ou autorités nationales)

Le MRU s’applique aux établissements de crédit établis dans les États membres participant à l’Union bancaire. Il s’agit des pays de la zone euro ainsi que des États membres de l’UE hors zone euro qui ont choisi d’y adhérer par une coopération rapprochée.  

Le SRMR définit précisément les entités qui relèvent de son champ d’application. Celles-ci incluent:  

  • Les établissements de crédit établis dans un État membre participant. Contrairement au MSU, il n’y a pas de distinction fondée sur l’importance pour déterminer la compétence directe du CRU en matière de résolution pour tous ces établissements.  
  • Les entreprises mères établies dans un État membre participant, y compris les compagnies financières holding et les compagnies financières holding mixtes, lorsqu’elles sont soumises à la surveillance consolidée de la BCE.  
  • Les entreprises d’investissement et les établissements financiers établis dans un État membre participant, lorsqu’ils sont couverts par la surveillance consolidée de leur entreprise mère exercée par la BCE.  

La répartition des tâches est claire : le CRU est directement responsable de la résolution des banques les plus importantes (celles supervisées directement par la BCE) et des groupes transfrontaliers. Pour les autres banques, moins importantes, les autorités nationales de résolution (ANR) restent compétentes pour élaborer les plans de résolution et prendre les décisions, mais elles le font dans le cadre harmonisé défini par le MRU et en étroite coopération avec le CRU. Le CRU peut toutefois décider d’exercer directement ses pouvoirs si une résolution implique l’utilisation du FRU, ou si une ANR n’applique pas correctement les règles.  

Articulation avec la directive BRRD

Le MRU et son règlement SRMR s’appuient sur les principes et les outils harmonisés introduits par la Directive 2014/59/UE établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, dite BRRD (Bank Recovery and Resolution Directive). Cette directive, modifiée ensuite par la BRRD II (Directive (UE) 2019/879), a dû être transposée dans le droit national de tous les États membres de l’UE. Elle fournit une « boîte à outils » commune pour les autorités de résolution, comprenant des mesures préventives (plans de redressement et plans de résolution), des pouvoirs d’intervention précoce et des instruments de résolution (cession d’activités, établissement-relais, séparation d’actifs et renflouement interne).  

Le SRMR adapte et complète la BRRD pour les États membres participant à l’Union bancaire, en centralisant la prise de décision au niveau du CRU pour les entités relevant de sa compétence. Ainsi, lorsque le CRU exécute des tâches ou exerce des pouvoirs qui, selon la BRRD, incombent à une autorité de résolution nationale, il est considéré comme cette autorité nationale ou, pour les groupes transfrontaliers, comme l’autorité de résolution au niveau du groupe. Cette articulation assure la cohérence entre le cadre général de la BRRD applicable à toute l’UE et le système de décision centralisé du MRU pour la zone euro et les pays participants.  

Le Conseil de Résolution Unique (CRU) : acteur central de la résolution

Le Conseil de Résolution Unique (CRU), ou Single Resolution Board (SRB) en anglais, est l’autorité centrale du Mécanisme de Résolution Unique. Il est chargé de garantir une résolution ordonnée des banques défaillantes avec un impact minimal sur l’économie réelle et les finances publiques des États membres participants.

Statut et indépendance : agence de l’UE basée à Bruxelles

Le CRU est une agence européenne indépendante, établie à Bruxelles. Son indépendance est un élément fondamental pour assurer l’intégrité et l’efficacité du processus de résolution, en le protégeant des influences politiques nationales ou d’autres pressions indues. Bien qu’il coopère étroitement avec la Commission européenne, la BCE, l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) et les autorités nationales de résolution, le CRU prend ses décisions de manière autonome dans le cadre défini par le règlement SRMR. Il est directement responsable devant le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne.  

Missions principales : planification de la résolution, décisions de résolution pour les grandes banques et groupes transfrontaliers

Les missions principales du CRU sont vastes et couvrent l’ensemble du cycle de vie de la résolution bancaire pour les entités relevant de sa compétence directe. Il est notamment chargé de:  

  • Élaborer les plans de résolution : Pour chaque banque ou groupe bancaire significatif, le CRU prépare un plan de résolution détaillé. Ce plan anticipe les scénarios de défaillance et définit la stratégie de résolution la plus appropriée, y compris le choix des outils de résolution à utiliser et la manière de préserver les fonctions critiques de la banque.  
  • Évaluer la résolvabilité des banques : Le CRU analyse si les banques peuvent être mises en résolution de manière efficace et crédible. Si des obstacles à la résolvabilité sont identifiés (par exemple, une structure juridique trop complexe), le CRU a le pouvoir d’exiger des banques qu’elles prennent des mesures pour y remédier.  
  • Prendre les décisions de résolution : Lorsqu’une banque relevant de sa compétence est défaillante ou susceptible de l’être, et qu’une résolution est dans l’intérêt public, le CRU adopte le dispositif de résolution. Cela inclut le choix des instruments de résolution à appliquer (cession d’activités, établissement-relais, séparation d’actifs, renflouement interne) et les conditions de leur mise en œuvre.  
  • Gérer le Fonds de Résolution Unique (FRU) : Le CRU est responsable de la gestion du FRU et décide de son utilisation pour soutenir financièrement les résolutions.  

Gouvernance : sessions plénières et exécutives, composition

La gouvernance du CRU est structurée pour assurer une prise de décision efficace et représentative. Les décisions sont prises lors de deux types de sessions:  

  • Sessions plénières : Elles rassemblent le Président, le Vice-président, les quatre membres permanents à temps plein, et les représentants des autorités nationales de résolution de tous les États membres participants. La BCE et la Commission européenne y participent en tant qu’observateurs. Les sessions plénières traitent des questions d’ordre général, des orientations politiques, du budget du CRU, et des décisions relatives au FRU, notamment lorsque son utilisation dépasse certains seuils. Les décisions y sont généralement prises à la majorité simple, sauf pour certaines questions financières spécifiques.  
  • Sessions exécutives : Elles sont composées du Président, du Vice-président, des quatre membres permanents, et uniquement des représentants des autorités nationales de résolution des États membres où est établie l’entité bancaire concernée par la décision de résolution spécifique. La BCE et la Commission européenne y sont également observateurs. Ce format plus restreint est dédié à la prise de décisions spécifiques à la résolution d’une banque ou d’un groupe particulier. Les décisions y sont recherchées par consensus, mais en l’absence d’accord, le président et les quatre membres permanents tranchent à la majorité simple.  

Le Président du CRU, actuellement Dominique Laboureix, dirige l’agence, prépare les travaux des sessions et est responsable de la gestion courante. Il est assisté d’un Vice-président et de quatre autres membres permanents, tous nommés après une procédure de sélection rigoureuse impliquant la Commission, le Parlement européen et le Conseil de l’UE.  

Pouvoirs spécifiques du CRU (enquête, inspections, sanctions)

Pour mener à bien ses missions, le CRU dispose de pouvoirs étendus.

  • Pouvoirs d’enquête et d’inspection : Le CRU peut exiger de toute personne (établissements de crédit, leurs dirigeants, etc.) de fournir toutes les informations nécessaires à l’élaboration des plans de résolution ou à la prise de décisions de résolution. Il peut mener des enquêtes générales et des inspections sur place dans les locaux des banques, examiner les livres et registres, et interroger le personnel. En cas d’obstruction, il peut solliciter l’assistance des autorités nationales, y compris judiciaires.  
  • Pouvoirs de sanction : Le CRU peut imposer des sanctions pécuniaires (amendes) et des astreintes aux entités qui ne respectent pas leurs obligations au titre du règlement SRMR. Par exemple, le refus de se conformer à une décision du CRU, l’obstruction à une enquête ou la fourniture d’informations incomplètes peuvent être sanctionnés. Les amendes peuvent atteindre jusqu’à 1% du chiffre d’affaires annuel net total de l’entité concernée, et les astreintes sont calculées sur une base quotidienne. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.  

Ces pouvoirs permettent au CRU d’assurer le respect du cadre de résolution et de disposer des informations et des moyens nécessaires pour agir de manière décisive en cas de crise.

Le processus décisionnel de résolution au niveau européen

La gestion d’une défaillance bancaire au sein de l’Union bancaire implique un processus décisionnel structuré, coordonnant les actions du CRU, de la BCE, de la Commission européenne, du Conseil de l’UE et des autorités nationales de résolution (ANR).

Répartition des tâches entre le CRU et les autorités nationales de résolution

Comme évoqué précédemment, le CRU est directement compétent pour la planification et la mise en œuvre de la résolution pour les établissements de crédit dits « significatifs » (ceux supervisés directement par la BCE) et les groupes bancaires transfrontaliers. Les ANR conservent la responsabilité de la résolution des établissements moins significatifs sur leur territoire, sauf si la résolution d’une telle entité requiert l’utilisation du FRU, auquel cas le CRU intervient. Les ANR assistent le CRU dans l’exercice de ses missions, notamment pour la collecte d’informations et la mise en œuvre des décisions de résolution sur le terrain, conformément au droit national transposant la directive BRRD.  

Élaboration des plans de résolution par le CRU

Pour chaque banque ou groupe relevant de sa compétence, le CRU élabore un plan de résolution. Ce document stratégique, mis à jour au moins annuellement, anticipe les actions à entreprendre si la banque devenait défaillante. Il identifie les fonctions critiques à préserver, la stratégie de résolution privilégiée (par exemple, cession d’activités, renflouement interne), les obstacles potentiels à la résolution et les moyens de les surmonter. L’élaboration de ces plans se fait en coopération avec la BCE et les ANR concernées. L’établissement lui-même est tenu de fournir toutes les informations nécessaires au CRU.  

Évaluation de la « résolvabilité » et suppression des obstacles

Parallèlement à l’élaboration des plans, le CRU évalue la « résolvabilité » de chaque banque. Il s’agit de déterminer si la banque peut, en cas de crise, être mise en résolution de manière ordonnée et efficace, sans propagation excessive des risques et sans recours aux fonds publics. Cette évaluation prend en compte la structure juridique et opérationnelle de la banque, sa complexité, la disponibilité d’informations, etc..  

Si le CRU identifie des obstacles substantiels à la résolvabilité (par exemple, une structure de groupe trop opaque, des interdépendances excessives, une incapacité à valoriser rapidement certains actifs), il doit en informer la banque. Celle-ci dispose d’un délai pour proposer des mesures correctrices. Si les propositions sont jugées insuffisantes, le CRU a le pouvoir d’imposer des mesures spécifiques à la banque pour supprimer ces obstacles. Celles-ci peuvent inclure l’obligation de simplifier sa structure juridique, de céder certains actifs, de limiter certaines activités, ou encore de constituer une compagnie financière holding mère.  

Déclenchement de la résolution : rôle de la BCE et du CRU

Une procédure de résolution n’est engagée que si plusieurs conditions cumulatives sont remplies, conformément à l’article 18 du SRMR. Premièrement, la BCE (ou l’ANR compétente pour les banques moins significatives) doit constater que l’établissement est « défaillant ou susceptible de l’être » (failing or likely to fail – FOLTF). Cette évaluation se fonde sur des critères précis, tels que des pertes substantielles ayant absorbé tout ou partie significative des fonds propres, une situation d’insolvabilité avérée ou imminente, ou la nécessité d’un soutien financier public exceptionnel.  

Deuxièmement, il ne doit pas y avoir de perspective raisonnable qu’une autre mesure (par exemple, une action du secteur privé ou une mesure de surveillance) puisse empêcher la défaillance dans un délai raisonnable. Troisièmement, une mesure de résolution doit être nécessaire dans l’intérêt public. C’est-à-dire que la résolution doit être préférable à une procédure normale d’insolvabilité pour atteindre les objectifs de stabilité financière, de continuité des fonctions critiques et de protection des déposants et des fonds publics.  

C’est le CRU qui, après avoir reçu la notification FOLTF de la BCE (ou de l’ANR), détermine si les conditions deux et trois sont remplies et s’il y a lieu d’engager une procédure de résolution.

Adoption du dispositif de résolution : interaction avec la Commission et le Conseil de l’UE

Une fois que le CRU a décidé qu’une résolution est nécessaire et a défini un dispositif de résolution (incluant les instruments à utiliser et le recours éventuel au FRU), ce dispositif doit être transmis à la Commission européenne pour approbation. La Commission vérifie notamment la compatibilité du dispositif avec les règles de l’UE en matière d’aides d’État si le FRU est utilisé ou si un soutien public est envisagé. La Commission dispose d’un délai très court (en principe 24 heures) pour approuver le dispositif ou y objecter.  

Si la Commission approuve, ou si elle n’objecte pas dans le délai imparti, le dispositif est considéré comme adopté. Toutefois, le Conseil de l’UE peut, dans des circonstances exceptionnelles et à la majorité simple, s’opposer au dispositif proposé par le CRU ou en demander la modification s’il estime que l’utilisation du FRU au-delà d’un certain seuil (5 milliards d’euros) ou l’octroi d’une aide d’État n’est pas approprié, ou si la résolution a des implications budgétaires significatives pour un État membre. Ce processus souligne l’équilibre des pouvoirs entre l’autorité technique de résolution (CRU) et les institutions politiques de l’UE.  

Mise en œuvre par les autorités nationales sous instruction du CRU

Après l’adoption du dispositif de résolution au niveau européen, sa mise en œuvre concrète sur le terrain est assurée par les ANR compétentes, agissant sous les instructions directes du CRU. Les ANR utilisent les pouvoirs que leur confère leur législation nationale (transposant la BRRD) pour appliquer les mesures décidées par le CRU (par exemple, organiser la cession d’actifs, mettre en place un établissement-relais, notifier les créanciers concernés par un renflouement interne). Le CRU supervise étroitement cette mise en œuvre et les ANR doivent lui rendre compte régulièrement de l’avancement des opérations.  

Les instruments de résolution mis en œuvre par le CRU

Pour gérer la défaillance d’une banque, le CRU dispose d’une palette d’instruments de résolution, largement définis par la directive BRRD et précisés dans le règlement SRMR. Ces outils visent à assurer la continuité des fonctions essentielles de la banque, à protéger les déposants et à minimiser l’impact sur la stabilité financière et les finances publiques. Le CRU peut décider d’utiliser ces instruments seuls ou en combinaison.  

Application coordonnée des outils BRRD (cession, établissement-relais, séparation d’actifs, renflouement interne)

Le CRU applique de manière coordonnée les quatre principaux instruments de résolution prévus par la BRRD:  

  • La cession des activités (ou sale of business) : Cet instrument consiste à transférer des actions émises par l’établissement en résolution, ou tout ou partie de ses actifs, droits et engagements, à un acquéreur privé. L’acquéreur doit disposer des agréments nécessaires et l’opération doit être réalisée dans des conditions de marché, autant que possible transparentes et non discriminatoires, tout en permettant une action rapide. Le consentement des actionnaires de l’établissement cédant n’est pas requis.  
  • L’établissement-relais (ou bridge institution) : Il s’agit de transférer temporairement tout ou partie des activités saines d’une banque en résolution (actifs, droits, engagements) à une entité contrôlée par les pouvoirs publics (l’établissement-relais). L’objectif est de maintenir les fonctions critiques et de permettre ensuite la vente de l’établissement-relais (ou de ses actifs) au secteur privé dans de bonnes conditions. L’établissement-relais doit obtenir un agrément et opérer en vue d’une cession future.  
  • La séparation des actifs (ou asset separation tool) : Cet outil permet de transférer les actifs « toxiques » ou difficiles à valoriser d’une banque en résolution vers une structure de gestion d’actifs (souvent appelée bad bank). Cela permet d’assainir le bilan de la banque résiduelle (ou de l’établissement-relais) et de faciliter sa résolution ou sa vente. Cet instrument est généralement utilisé en complément d’un autre instrument de résolution.  
  • Le renflouement interne (ou bail-in) : C’est l’un des instruments les plus novateurs. Il vise à absorber les pertes de la banque et à la recapitaliser en ayant recours aux ressources internes de la banque, c’est-à-dire en imposant des pertes à ses actionnaires et à certains de ses créanciers, selon un ordre de priorité strict. Les fonds propres sont les premiers à absorber les pertes, suivis par les instruments de dette subordonnée, puis, si nécessaire, par certaines dettes senior non garanties. Les dépôts couverts (jusqu’à 100 000 euros) sont protégés et ne peuvent être soumis au renflouement interne. L’objectif est que les créanciers dont les investissements ont contribué au risque de la banque supportent les pertes avant les contribuables. L’application du bail-in s’accompagne de l’obligation pour la banque de présenter un plan de réorganisation de ses activités.  

Dépréciation et conversion d’instruments de fonds propres et passifs éligibles

Avant même, ou concomitamment à l’application d’un instrument de résolution, le CRU a le pouvoir d’exiger la dépréciation (réduction de la valeur nominale jusqu’à zéro) ou la conversion en fonds propres (généralement en actions ordinaires) des instruments de capital pertinents et, si nécessaire, de certains autres passifs éligibles. Cela permet d’absorber les pertes et de faciliter la recapitalisation de l’entité ou la mise en œuvre d’autres mesures de résolution.  

L’ordre d’imputation des pertes est strictement hiérarchisé:  

  1. Instruments de fonds propres de base de catégorie 1 (CET1), principalement les actions ordinaires.  
  2. Instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 (AT1).  
  3. Instruments de fonds propres de catégorie 2 (T2).  
  4. Autres engagements subordonnés qui ne sont pas des instruments AT1 ou T2.  
  5. Engagements éligibles restants, selon la hiérarchie des créances en cas de procédure normale d’insolvabilité, tout en excluant certains passifs comme les dépôts couverts.  

Cette dépréciation et/ou conversion est une étape essentielle pour s’assurer que les actionnaires et les créanciers subordonnés supportent les pertes avant toute intervention du FRU ou des contribuables.

Stratégies de résolution : point d’entrée unique (SPE) vs points d’entrée multiples (MPE)

Lors de la planification de la résolution d’un groupe bancaire, le CRU doit définir une stratégie de résolution. Deux approches principales existent:  

  • Stratégie à point d’entrée unique (Single Point of Entry – SPE) : Dans cette approche, la résolution est appliquée au niveau de l’entité mère (holding) du groupe. Les pertes des filiales opérationnelles sont transférées vers l’entité mère, qui est ensuite recapitalisée (souvent par renflouement interne de ses propres instruments de dette) ou mise en résolution. Les filiales opérationnelles peuvent ainsi continuer leurs activités avec un impact limité. Cette stratégie est souvent privilégiée pour les grands groupes bancaires intégrés.  
  • Stratégie à points d’entrée multiples (Multiple Point of Entry – MPE) : Ici, plusieurs entités au sein du groupe (par exemple, des filiales importantes dans différents pays) peuvent être désignées comme points d’entrée pour la résolution. Chaque point d’entrée peut faire l’objet d’une procédure de résolution distincte. Cette approche peut être plus adaptée pour les groupes bancaires moins intégrés ou ayant des filiales avec une forte autonomie et une importance systémique locale.  

Le choix de la stratégie dépend de la structure du groupe, de son profil de risque, de sa résolvabilité et de l’objectif de minimiser l’impact sur la stabilité financière dans les différentes juridictions où le groupe opère. La SRMR II a introduit les concepts d' »entité de résolution » et de « groupe de résolution » pour mieux identifier les entités sur lesquelles les mesures de résolution seraient appliquées dans le cadre de ces stratégies.  

Le Fonds de Résolution Unique (FRU) : financement de la résolution

Le Fonds de Résolution Unique (FRU) est un élément central du MRU, conçu pour fournir un soutien financier aux mesures de résolution lorsque cela est nécessaire, afin d’assurer leur efficacité et de protéger la stabilité financière.

Objectif : fournir un soutien financier aux résolutions sans recours excessif aux fonds publics

L’objectif principal du FRU est de disposer d’une capacité financière commune pour aider à financer la résolution des banques défaillantes relevant du MRU, sans recourir à l’argent des contribuables ou seulement en dernier recours. Le FRU peut intervenir pour garantir certains actifs ou passifs d’une banque en résolution, accorder des prêts, acquérir des actifs, ou contribuer au capital d’un établissement-relais ou d’une structure de gestion d’actifs. Il ne peut cependant pas être utilisé pour absorber directement les pertes d’une banque ou pour la recapitaliser en lieu et place des actionnaires et créanciers (sauf dans des conditions très strictes dans le cadre du renflouement interne).  

Constitution et niveau cible : contributions ex-ante des banques, mutualisation progressive

Le FRU est financé par des contributions obligatoires versées par les établissements de crédit et certaines entreprises d’investissement des États membres participants au MRU. Ces contributions sont dites ex-ante, c’est-à-dire qu’elles sont collectées annuellement avant toute survenance d’une crise. Le montant de la contribution de chaque banque est calculé en fonction de son passif (hors fonds propres et dépôts couverts) et ajusté en fonction de son profil de risque.  

Le FRU a été constitué progressivement sur une période de transition de huit ans, de 2016 à fin 2023. Durant cette période, les contributions nationales ont été progressivement mutualisées. Au départ, les fonds étaient largement compartimentés au niveau national, puis la part commune a augmenté chaque année pour atteindre 100% au 1er janvier 2024. Le niveau cible du FRU est d’au moins 1% du montant des dépôts couverts de l’ensemble des établissements de crédit agréés dans tous les États membres participants. Initialement estimé à environ 55 milliards d’euros, ce montant cible est désormais plus proche de 80 milliards d’euros en raison de l’augmentation des dépôts couverts.  

En cas d’insuffisance des fonds ex-ante, le FRU peut également lever des contributions ex-post extraordinaires auprès des banques après une résolution, ou recourir à d’autres formes de financement comme des emprunts.  

Utilisation du FRU : conditions et limites (garanties, prêts, recapitalisation indirecte)

L’utilisation du FRU est strictement encadrée. Le CRU peut décider de recourir au FRU pour faciliter l’application des instruments de résolution, par exemple pour:  

  • Fournir des garanties sur les actifs ou les passifs transférés.
  • Octroyer des prêts à l’établissement soumis à résolution, à un établissement-relais ou à une structure de gestion d’actifs.
  • Acquérir des actifs de l’établissement en résolution.
  • Apporter des contributions en capital à un établissement-relais ou une structure de gestion d’actifs.
  • Indemniser les actionnaires ou créanciers s’ils ont subi des pertes plus importantes que celles qu’ils auraient encourues en cas de liquidation normale (principe du « No Creditor Worse Off »).  
  • Contribuer à une résolution dans le cadre de l’instrument de renflouement interne, mais seulement si les actionnaires et créanciers ont déjà contribué à hauteur d’au moins 8% du total des passifs de l’établissement, et la contribution du FRU est alors limitée à 5% du total des passifs.  

Il existe des limites à l’utilisation du FRU pour éviter un aléa moral. Notamment, il ne peut être utilisé pour couvrir les pertes qui auraient dû être absorbées par les actionnaires ou les créanciers.

Interaction avec les systèmes nationaux de garantie des dépôts

Les systèmes de garantie des dépôts (SGD) nationaux restent en place et ont pour mission principale de rembourser les déposants couverts (jusqu’à 100 000 euros par déposant et par banque) en cas d’indisponibilité de leurs dépôts. Il existe une interaction entre le FRU et les SGD. En cas de résolution, le SGD de l’État membre concerné peut être amené à contribuer au financement de la résolution à la place du remboursement direct des déposants, mais sa contribution ne peut excéder le montant des pertes qu’il aurait subies si la banque avait été liquidée selon une procédure normale d’insolvabilité. Si le SGD contribue à une résolution qui utilise également le FRU, leurs interventions doivent être coordonnées. L’objectif est d’assurer la protection des déposants couverts de la manière la plus efficiente.  

Financement du CRU lui-même : contributions administratives distinctes

Il est important de distinguer le financement du FRU (destiné aux opérations de résolution) du financement du fonctionnement administratif du CRU. Les dépenses administratives du CRU (salaires, locaux, systèmes informatiques, etc.) sont couvertes par des contributions distinctes versées par les mêmes établissements qui alimentent le FRU. Le budget administratif du CRU est adopté annuellement en session plénière.  

Coopération et recours

L’efficacité du MRU repose sur une coopération étroite entre les différentes autorités impliquées, tant au niveau européen qu’international. Parallèlement, des mécanismes de recours sont prévus pour garantir la légalité et la proportionnalité des décisions prises.

Coopération au sein du MRU (BCE, autorités nationales, EBA)

Une coopération fluide et constante est essentielle entre le CRU, la BCE (en tant qu’autorité de surveillance et pour son rôle dans le déclenchement de la résolution), les autorités nationales de résolution (ANR) et l’Autorité Bancaire Européenne (ABE).  

  • CRU et BCE : La BCE informe le CRU lorsqu’une banque est défaillante ou susceptible de l’être. Les deux institutions collaborent étroitement dans la préparation des plans de résolution et l’évaluation de la résolvabilité. Des protocoles d’accord formalisent cet échange d’informations et cette coordination.  
  • CRU et ANR : Les ANR assistent le CRU dans la collecte d’informations, l’élaboration des plans de résolution pour les banques moins significatives et la mise en œuvre des décisions de résolution prises par le CRU sur leur territoire. Pour les groupes transfrontaliers, des collèges d’autorités de résolution, présidés par le CRU, sont mis en place pour coordonner les actions.  
  • CRU et ABE : L’ABE joue un rôle important dans l’élaboration de normes techniques et d’orientations qui sous-tendent le fonctionnement du MRU (par exemple, sur le contenu des plans de résolution, la MREL, etc.). L’ABE participe en tant qu’observateur aux sessions du CRU et peut jouer un rôle de médiation en cas de désaccord entre autorités au sein des collèges de résolution. Le CRU informe l’ABE de ses décisions et des sanctions imposées.  

Coopération avec les pays tiers (accords, reconnaissance des procédures)

Les grandes banques opérant souvent à l’échelle mondiale, la coopération avec les autorités de résolution des pays tiers (hors UE) est indispensable pour gérer efficacement la défaillance de groupes bancaires internationaux. Le CRU (représentant les ANR des États membres participants) peut conclure des accords-cadres de coopération non contraignants (Memoranda of Understanding) avec les autorités de pays tiers pour faciliter:  

  • L’échange d’informations confidentielles.  
  • La coordination dans l’élaboration des plans de résolution pour les groupes internationaux.  
  • La reconnaissance mutuelle des procédures de résolution.  

La BRRD et le SRMR prévoient des dispositions pour la reconnaissance et l’exécution des procédures de résolution de pays tiers concernant des actifs ou des entités situées dans l’UE, sous réserve de certaines conditions (compatibilité avec le droit national, absence d’impact négatif sur la stabilité financière de l’UE, traitement équivalent des créanciers). Inversement, les autorités de résolution de l’UE peuvent exercer leurs pouvoirs sur des entités sises dans des pays tiers, si la coopération le permet. Des accords ont par exemple été signés avec les autorités américaines (FDIC), britanniques (Bank of England) et suisses (FINMA).  

Droit de recours contre les décisions du CRU (Comité d’appel, CJUE)

Pour garantir la légalité et la justice des décisions prises par le CRU, un système de recours est en place. Les décisions du CRU (par exemple, celles relatives aux obstacles à la résolvabilité, aux exigences MREL, aux sanctions, ou aux contributions au FRU) peuvent faire l’objet d’un recours devant un Comité d’appel interne au CRU. Ce comité est composé de cinq membres et deux suppléants indépendants, nommés par le CRU mais n’étant pas employés par lui, et possédant une expertise reconnue. La procédure de recours est écrite et orale, et le Comité d’appel peut confirmer la décision du CRU ou lui demander de la modifier.  

Les décisions du Comité d’appel, ou les décisions du CRU si le recours devant le Comité d’appel n’est pas possible ou a été épuisé, peuvent ensuite être contestées devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La CJUE est l’instance ultime pour statuer sur la légalité des actes des agences de l’UE. Le CRU est tenu de se conformer aux arrêts de la Cour. Ce double niveau de recours vise à assurer un contrôle juridictionnel effectif des actions du CRU.  

Le Mécanisme de Résolution Unique, avec le CRU comme chef d’orchestre et le FRU comme filet de sécurité financier, constitue une architecture complexe mais indispensable pour renforcer la résilience du secteur bancaire européen et protéger les contribuables. La bonne articulation entre ces instances européennes, les autorités nationales et les partenaires internationaux, ainsi que le respect des procédures et des droits de recours, sont déterminants pour le succès de le cadre général de la résolution bancaire. Si vous êtes confronté à une situation relevant du droit bancaire européen et de ses implications en matière de résolution, l’assistance d’avocats ayant une pratique dédiée à ces questions est essentielle. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, n’hésitez pas à contacter notre cabinet pour discuter de vos options et bénéficier de notre expertise en droit bancaire.

Sources

  • Règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil du 15 juillet 2014 établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010.
  • Règlement (UE) 2019/877 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2019 modifiant le règlement (UE) n° 806/2014 en ce qui concerne la capacité d’absorption des pertes et de recapitalisation des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.
  • Directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements (UE) n° 1093/2010 et (UE) n° 648/2012 (pour contexte et outils).  
  • Accord intergouvernemental sur le transfert et la mutualisation des contributions au Fonds de Résolution Unique.

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