Lorsque la saisie vente immobilière ne couvre pas la dette, deux mondes s’opposent. Le débiteur se demande, pour sa part, s’il doit encore des sommes. Si c’est le cas, alors combien ? Le créancier, quant à lui, rencontre le même problème : combien le débiteur me doit-il encore ?
Car pour poursuivre le recouvrement, il faut savoir combien est dû. Sans cela, le commandement de payer ne pourra pas mentionner le montant de la créance. Mais ce n’est pas le seul problème, car la poursuite du recouvrement s’annonce complexe.
La saisie immobilière, en effet, représente souvent un dernier recours. Alors que peut-on faire de plus lorsque la vente ne couvre pas la dette ? Éléments de réponse.
Le montant de la dette après une saisie immobilière
La question du sort de la dette, c’est pour commencer la question de son montant. La saisie immobilière se déroule en deux étapes :
- D’abord, le débiteur est dépossédé de son bien immobilier qui est vendu aux enchères, sur la mise à prix fixée par le créancier. Le prix de vente est alors séquestré entre les mains du bâtonnier de l’ordre des avocats.
- Ensuite, le prix de vente est distribué aux créanciers. Ce n’est qu’à ce moment-là que le débiteur est dépossédé de son argent. Tant que le prix est séquestré, le débiteur en reste propriétaire. Le séquestre implique simplement qu’il ne peut pas disposer des fonds.
Cette solution, si elle est logique, soulève toutefois quelques difficultés. En effet, si le prix de vente appartient au débiteur, c’est que le créancier n’est pas payé. Et si le créancier n’est pas payé, alors sa créance produit, dans l’immense majorité des cas, des intérêts…
C’est un problème, car le débiteur ne maîtrise pas la date du paiement. Ce paiement dépend de la mise en œuvre de la procédure de distribution du prix. Cette procédure constitue la deuxième phase de la procédure de saisie immobilière : d’abord on saisit et on vend, ensuite on distribue le prix.
Or cette procédure de distribution du prix ne peut pas être mise en œuvre avant de longs mois. Et lorsqu’elle est mise en œuvre, elle ne peut pas aboutir avant plusieurs mois.
Cela signifie-t-il que la créance produira des intérêts pendant des mois ? Tant que le prix ne sera distribué et que le créancier ne sera pas payé ?
La réponse est non.
Le sort des intérêts pour le débiteur
Lorsqu’une adjudication a lieu, l’adjudicataire dispose d’un délai de 2 mois pour consigner le prix entre les mains du séquestre. S’il ne le fait pas, alors il encourt une procédure de réitération des enchères, qui aboutira à une nouvelle vente aux enchères.
Quelle que soit l’hypothèse considérée, le résultat est le même. Une fois le prix de vente séquestré, commence à s’écouler un délai de 6 mois. A l’expiration de ce délai, la consignation produit les effets d’un paiement pour le débiteur.
Cela résulte des dispositions des articles L. 334-1 et R. 334-3 du code des procédures civiles d’exécution.
L’article L. 334-1 dispose que :
Si la distribution du prix n’est pas intervenue dans un délai fixé par voie réglementaire, son versement ou sa consignation produit, à l’égard du débiteur, tous les effets d’un paiement à hauteur de la part du prix de vente qui sera remise aux créanciers après la distribution.
L’article R. 334-3 dispose que :
Le délai à l’expiration duquel le versement du prix de vente ou sa consignation auprès de la Caisse des dépôts par l’acquéreur produit à l’égard du débiteur tous les effets d’un paiement est de six mois.
Autrement dit, on considère que la dette est comme payée à l’expiration d’un délai de 6 mois. Elle cesse alors de produire des intérêts, à concurrence des sommes payées. On peut alors déterminer si la saisie vente immobilière couvre ou ne couvre pas la dette.
Le sort des intérêts pour le créancier
Sauf que le montant exact du prix qui sera distribué n’est connu qu’au dernier moment. En effet, les dispositions générales du cahier des conditions de la vente précisent, à leur article 13, que :
Les fonds séquestrés produisent intérêts au taux de 105% de celui servi par la Caisse des dépôts et consignations au profit du débiteur et des créanciers, à compter de leur encaissement et jusqu’à leur distribution.
Cela implique que :
- A l’égard du débiteur, le cours des intérêts de la dette est interrompu à +6 mois après la consignation du prix de vente.
- A l’égard du créancier, le prix produit des intérêts jusqu’au jour du paiement.
Ces intérêts étant distribués avec le prix, la proportion dans laquelle la dette sera réduite n’est connue qu’au moment du paiement. C’est mathématique. En effet, cela dépend de la date du paiement. C’est cette date qui permet d’arrêter la date de décompte des intérêts.
Le montant de la dette
La question du sort des intérêts rejoint une autre question : celle du montant de la dette. Si les décomptes d’intérêts ne sont pas arrêtés, alors le montant de la dette n’est pas connu. En effet, les intérêts font partie intégrante de la dette.
Or l’article L. 311-2 du code des procédures civiles d’exécution dispose que :
Tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut procéder à une saisie immobilière dans les conditions fixées par le présent livre et par les dispositions qui ne lui sont pas contraires du livre Ier.
L’expression « créance liquide » signifie que le montant de la créance doit être déterminé ou déterminable. Si les décomptes d’intérêts ne sont pas arrêtés, alors le montant de la créance demeure indéterminé. C’est un problème temporaire, car la distribution du prix va résoudre le problème. Et néanmoins, c’est un problème qui peut être bloquant.
S’agissant du sort de la dette la procédure de saisie immobilière, cela implique deux choses.
La première, c’est que le montant de la dette sera provisoirement indéterminé.
La deuxième, c’est que cette difficulté est susceptible de bloquer la mise en œuvre d’autres procédure de recouvrement. En effet, il faut disposer d’une créance liquide pour mettre en œuvre une mesure de recouvrement. Cela résulte de l’article L. 111-2 du code des procédures civiles d’exécution :
Le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution.
Le cas spécifique de la saisie immobilière
La procédure de saisie immobilière, par ailleurs, est soumise à des contraintes supplémentaires à cause de sa gravité.
L’article L. 311-5 du code des procédures civiles d’exécution ajoute ainsi, à son premier alinéa, que :
Le créancier ne peut procéder à la saisie de plusieurs immeubles de son débiteur que dans le cas où la saisie d’un seul ou de certains d’entre eux n’est pas suffisante pour le désintéresser et désintéresser les créanciers inscrits.
Ce texte s’applique ainsi lorsque le débiteur est propriétaire de plusieurs immeubles. Le créancier devra prouver que la première saisie ne suffit pas à le payer avant de mettre en œuvre une deuxième saisie. En d’autres termes, il devra prouver que la saisie vente immobilière ne couvre pas la dette. Cela signifie que le débiteur pourra saisir le juge d’une contestation en exposant que :
- La créance n’est pas liquide (son montant n’est pas connu) tant que la distribution du prix n’est pas terminée,
- La preuve du caractère insuffisant de la première saisie devra attendre, le cas échéant, la distribution du prix.
Le juge de l’exécution dispose d’une marge d’appréciation sur le deuxième critère. En effet, il peut considérer que même si le prix n’est pas distribué, le montant de la créance est tel qu’il n’est pas nécessaire d’attendre les décomptes d’intérêts pour se convaincre qu’une deuxième saisie est nécessaire.
C’est par exemple vrai pour une dette de 200 000 €. Si le premier immeuble a été adjugé au prix de 100 000 €, il y aura quoi qu’il arrive un solde restant dû.
S’agissant du premier critère, en revanche, la jurisprudence est plus piégeuse.
Les comptes entre les parties
La cour de cassation, en effet, a récemment jugé que le juge de l’exécution, s’il était saisi d’une demande de comptes entre les parties, devait y déférer. Cette obligation est très lourde, car le juge doit s’y soumettre même s’il ne dispose pas des éléments nécessaires pour faire les comptes. Et s’il n’y défère pas, il commet un déni de justice. La responsabilité de l’agent judiciaire de l’Etat peut alors être engagée :
« Vu les articles 4 du code civil et L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire :
7. Il résulte de ces textes que lorsque le montant de la créance du poursuivant est contesté, le juge est tenu de le déterminer et, à cette fin, de faire, s’il y a lieu, les comptes entre les parties, sans pouvoir s’y refuser en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies. » (Cass. 2e civ., 15 avr. 2021, n° 20-13.953).
Naturellement, pour faire les comptes, il faut qu’il y ait des dettes réciproques. Cela limite considérablement la portée de l’argument. Et néanmoins, la solution, lorsqu’elle est applicable, est redoutable, compte tenu de son caractère insurmontable pour le juge : il doit déférer.
La mise en œuvre d’autres procédures de recouvrement
Une fois ces problématiques traitées, le créancier pourra naturellement mettre en œuvre d’autres mesures de recouvrement. On rappelle, à cet égard, que le créancier a le choix des mesures d’exécution qu’il met en œuvre. L’article L. 111-7 du code des procédures civiles le précise expressément :
Le créancier a le choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa créance. L’exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l’obligation.
La seule limite se trouve dans le risque d’abus de saisie. C’est une thématique qui ne sera pas abordée ici, pour l’avoir été ailleurs.
- Lire aussi : La saisie-attribution abusive
Lorsque la saisie vente immobilière ne couvre pas la dette, le créancier peut ainsi être contraint d’attendre avant de reprendre le recouvrement de sa créance. Cette attente est le résultat, d’une part, de la nécessité d’avoir une créance liquide ; et d’autre part, des règles propres à la procédure de saisie immobilière.