L’acquisition d’un bien immobilier représente souvent l’investissement d’une vie. Le recours au crédit immobilier est, dans la majorité des cas, une étape indispensable. Face à l’importance de cet engagement, le législateur français, notamment depuis l’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 transposant une directive européenne, a renforcé la protection des emprunteurs. Cette réforme visait à instaurer un cadre plus transparent et plus sûr pour les contrats de crédit immobilier conclus après le 1er octobre 2016. Cependant, les établissements prêteurs ne respectent pas toujours scrupuleusement leurs obligations. Quels sont les manquements les plus fréquents et, surtout, quelles sanctions encourent les banques et organismes de crédit en cas de faute ? Comprendre ces mécanismes est essentiel pour tout emprunteur souhaitant faire valoir ses droits. Pour une vision d’ensemble des changements apportés par la réforme, vous pouvez consulter notre guide complet sur le crédit immobilier post-réforme 2016.
Sanctions en cas de non-respect des obligations d’information précontractuelle (FISE, devoir de mise en garde)
Avant même la signature de l’offre de prêt, le prêteur est tenu à des obligations d’information précises pour permettre au candidat emprunteur de s’engager en pleine connaissance de cause.
La Fiche d’Information Standardisée Européenne (FISE)
L’un des apports majeurs de la réforme de 2016 est l’instauration de la Fiche d’Information Standardisée Européenne (FISE). Ce document, dont le modèle est fixé par la réglementation (articles L. 313-7 et R. 313-4 du Code de la consommation), doit être remis à l’emprunteur au plus tard lors de l’émission de l’offre de crédit. Il contient des informations personnalisées et standardisées permettant de comparer efficacement les différentes offres du marché.
Le défaut de remise de la FISE ou la fourniture d’une FISE incomplète ou erronée expose le prêteur à des sanctions civiles. La sanction principale est la déchéance du droit aux intérêts (article L. 341-26 du Code de la consommation). Si la FISE n’est pas communiquée, la déchéance peut être totale. Si elle est incomplète ou erronée sur des points autres que le TAEG, la déchéance est partielle, fixée par le juge dans la limite de 30% des intérêts et plafonnée à 30 000 euros (article L. 341-25). La jurisprudence récente confirme que la simple signature de l’offre de prêt par l’emprunteur, même si elle contient une clause attestant de la réception de la FISE, ne suffit pas à prouver que le prêteur a rempli son obligation ; il doit fournir des éléments corroborant cette remise effective (Cass. 1re civ., 7 juin 2023, n° 22-15.552). Pour approfondir ce sujet, vous pouvez consulter notre article sur l’information précontractuelle et la FISE.
Le devoir de mise en garde
Au-delà de la simple information, le prêteur (ou l’intermédiaire de crédit) a un devoir de mise en garde envers l’emprunteur. L’article L. 313-12 du Code de la consommation le formalise : le professionnel doit alerter gratuitement l’emprunteur lorsque, compte tenu de sa situation financière, le contrat de crédit envisagé pourrait présenter des risques spécifiques pour lui. Ce devoir implique une analyse de la situation de l’emprunteur et des caractéristiques du prêt.
Le manquement à ce devoir de mise en garde engage la responsabilité civile du prêteur. La sanction n’est pas automatiquement la déchéance des intérêts mais peut ouvrir droit à des dommages-intérêts pour l’emprunteur, correspondant généralement à la perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses. La Cour de cassation a précisé que ce devoir s’applique notamment pour les prêts complexes ou présentant des risques particuliers, comme ceux comportant des paliers d’échéances importants ou un risque d’amortissement négatif (Cass. 1re civ., 25 mai 2022, n° 21-10.635). Le point de départ de la prescription pour agir sur ce fondement est la date d’exigibilité des sommes impayées, et non la date de conclusion du prêt (Cass. Com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811).
Sanctions en cas d’évaluation incorrecte ou insuffisante de la solvabilité de l’emprunteur
La réforme de 2016 a renforcé l’obligation pour le prêteur d’évaluer rigoureusement la solvabilité de l’emprunteur avant d’octroyer le crédit (article L. 313-16 du Code de la consommation). Cette évaluation doit se fonder sur des informations suffisantes, pertinentes et vérifiées concernant les revenus, l’épargne, les actifs, les dépenses régulières et les engagements financiers de l’emprunteur. Le prêteur doit consulter le Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP).
L’octroi d’un crédit sans évaluation préalable de la solvabilité ou sur la base d’une évaluation manifestement insuffisante ou erronée constitue un manquement grave.
La sanction civile prévue par l’article L. 341-28 du Code de la consommation est la déchéance du droit aux intérêts, qui peut être totale ou partielle, à l’appréciation du juge. Si le prêteur a simplement manqué à certaines conditions légales de l’évaluation (par exemple, ne pas avoir vérifié certaines informations), la déchéance sera partielle, plafonnée comme pour les manquements à l’information (article L. 341-27, 3°).
Il est important de noter que le prêteur ne peut se décharger de sa responsabilité en invoquant des informations incomplètes fournies par l’emprunteur, sauf si ce dernier a sciemment dissimulé ou falsifié des informations essentielles (article L. 313-17). Inversement, la fourniture de renseignements inexacts par l’emprunteur peut justifier une inscription au FICP en cas d’incident de paiement ultérieur (Cass. 1re civ., 25 mai 2022, n° 21-14.713). Notre article dédié détaille l’évaluation de la solvabilité par le prêteur.
Sanctions relatives à l’offre de prêt (non-respect du formalisme, des délais)
La formation du contrat de crédit immobilier est encadrée par un formalisme strict visant à protéger l’emprunteur. L’offre de prêt, régie par les articles L. 313-24 et suivants du Code de la consommation, doit respecter des conditions de forme et de contenu précises.
Formalisme de l’offre
L’offre doit être formulée par écrit (ou sur support durable), adressée gratuitement à l’emprunteur (et aux cautions personnes physiques). Elle doit contenir une série de mentions obligatoires listées à l’article L. 313-25 (identité des parties, nature, objet, modalités du prêt, échéancier pour les taux fixes, notice et simulation pour les taux variables, coût total, TAEG, assurances et garanties exigées, conditions de transfert, rappel des délais…).
Le non-respect de ces mentions obligatoires est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts (article L. 341-34). La jurisprudence antérieure, qui considérait que la seule sanction était la déchéance et non la nullité du prêt, reste applicable (Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, n° 97-11.472). La déchéance peut être totale ou partielle, selon l’appréciation du juge quant à la gravité du manquement et au préjudice subi par l’emprunteur.
Délais
Deux délais essentiels encadrent l’offre :
- Délai de maintien de l’offre : Le prêteur doit maintenir les conditions de son offre pendant une durée minimale de 30 jours à compter de sa réception par l’emprunteur (article L. 313-34, al. 1).
- Délai de réflexion de l’emprunteur : L’emprunteur (et les cautions) ne peut accepter l’offre qu’à l’issue d’un délai de réflexion incompressible de 10 jours francs après sa réception (article L. 313-34, al. 2). L’acceptation doit être donnée par lettre (cachet de la poste faisant foi) ou tout autre moyen convenu rendant la date certaine.
Le non-respect du délai de réflexion de 10 jours par le prêteur (par exemple, en antidatant l’acceptation ou en faisant pression sur l’emprunteur pour une acceptation prématurée) est une irrégularité grave. La sanction traditionnellement admise par la Cour de cassation est la nullité de l’acceptation, et par voie de conséquence, du contrat de prêt lui-même (Cass. 1re civ., 25 nov. 2010, n° 09-14.336). Cette nullité est relative et se prescrit par 5 ans à compter de l’acceptation irrégulière. Toutefois, une certaine confusion demeure, car l’article L. 341-40 sanctionne pénalement le fait d’obtenir une acceptation antidatée, et certains arrêts plus anciens mentionnaient aussi la déchéance des intérêts pour le non-respect de ce délai. La nullité reste cependant la sanction la plus cohérente avec le caractère d’ordre public de protection de ce délai.
Sanctions en cas de TAEG erroné ou d’absence de mention du TAEG
Le Taux Annuel Effectif Global (TAEG) est un élément essentiel de l’information de l’emprunteur. Il représente le coût total du crédit, incluant les intérêts, les frais de dossier, les coûts d’assurance obligatoire, les frais d’évaluation du bien, etc. (articles L. 314-1 à L. 314-3). Il doit obligatoirement figurer dans l’offre de prêt (article L. 313-25, 5°).
L’absence de mention du TAEG ou la mention d’un TAEG erroné constitue un manquement fréquent et lourdement sanctionné. L’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 a clarifié et harmonisé les sanctions civiles applicables en la matière, y compris pour les contrats conclus après la réforme de 2016 mais avant cette ordonnance.
Désormais, l’article L. 341-48-1 du Code de la consommation prévoit qu’en cas d’omission du TAEG ou de mention d’un TAEG erroné, le prêteur encourt la déchéance du droit aux intérêts « dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur ». La sanction n’est donc plus la nullité de la stipulation d’intérêts (qui entraînait la substitution du taux d’intérêt légal au taux conventionnel), mais une déchéance modulable par le juge.
Pour que l’erreur sur le TAEG soit sanctionnée, elle doit dépasser une certaine marge. L’annexe à l’article R. 314-3 précise que le calcul doit avoir une exactitude d’au moins une décimale. Une erreur minime, inférieure à cette décimale prescrite, n’entraîne pas la déchéance (Cass. 1re civ., 13 mars 2024, n° 22-23.873). Le contentieux autour du TAEG reste abondant, notamment sur les frais qui doivent y être inclus (frais de garantie, parts sociales, etc.). Pour plus de détails, consultez notre page sur le TAEG et son contentieux.
Autres manquements du prêteur et sanctions associées
Au-delà des manquements liés à l’information, à la solvabilité et à l’offre, d’autres obligations pèsent sur le prêteur durant la vie du contrat, dont le non-respect peut entraîner des sanctions.
Non-respect des règles sur le remboursement anticipé
L’emprunteur a le droit de rembourser son crédit par anticipation, totalement ou partiellement (article L. 313-47). Le prêteur peut exiger une indemnité (Indemnité de Remboursement Anticipé – IRA), mais celle-ci est strictement plafonnée par l’article R. 313-25 (ne peut excéder 6 mois d’intérêts sur le capital remboursé au taux moyen du prêt, ni 3% du capital restant dû avant remboursement). De plus, aucune IRA n’est due dans certains cas (vente du bien suite à mutation, décès, etc.).
Le prêteur qui exigerait une IRA non due, ou une IRA supérieure aux plafonds légaux, commettrait un manquement. La sanction serait la restitution des sommes indûment perçues, potentiellement assortie de dommages-intérêts si l’emprunteur démontre un préjudice distinct. De plus, l’article L. 341-46 prévoit une sanction pénale (amende de 150 000 €) pour le prêteur qui perçoit ou réclame une indemnité illicite.
Non-respect des obligations en cas de prêt à taux variable
Pour les prêts à taux variable, le prêteur a des obligations d’information spécifiques en cours de contrat (article L. 313-46). Il doit informer l’emprunteur au moins une fois par an du capital restant dû. Surtout, il doit informer l’emprunteur par écrit (ou support durable) de toute modification du taux débiteur avant son entrée en vigueur, en précisant le nouveau montant des échéances et l’éventuelle modification du nombre ou de la périodicité.
Le manquement à cette obligation d’information annuelle ou préalable à la modification du taux est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts, totale ou partielle, à l’appréciation du juge (article L. 341-45).
Pratiques abusives diverses
D’autres clauses ou pratiques peuvent être sanctionnées, notamment via la législation sur les clauses abusives (articles L. 212-1 et suivants). Par exemple, une clause imposant une domiciliation bancaire excessive et non justifiée par un avantage individualisé réel pourrait être jugée abusive. De même, une clause de déchéance du terme trop rigoureuse, s’appliquant pour un manquement mineur de l’emprunteur sans préavis raisonnable, peut être considérée comme créant un déséquilibre significatif (Cass. 1re civ., 22 mars 2023, n° 21-16.044).
Comment l’emprunteur peut-il faire valoir ses droits et obtenir réparation ?
Face à un manquement du prêteur, l’emprunteur dispose de plusieurs voies pour agir.
La démarche amiable
Dans un premier temps, une démarche amiable auprès de l’établissement prêteur est souvent recommandée. Il s’agit d’adresser une réclamation écrite et motivée, en pointant précisément le manquement constaté (défaut de FISE, TAEG erroné, évaluation de solvabilité insuffisante, etc.) et en demandant réparation (recalcul des intérêts, suppression de frais, indemnisation…). Si la banque dispose d’un service client ou d’un service réclamation, c’est le premier interlocuteur.
En cas d’échec ou d’absence de réponse satisfaisante dans un délai raisonnable (généralement deux mois), l’emprunteur peut saisir gratuitement le médiateur bancaire compétent pour son établissement. Le médiateur rendra un avis, que les parties sont libres de suivre ou non.
L’action en justice
Si la voie amiable n’aboutit pas, l’emprunteur peut saisir la justice. L’action doit être portée devant le tribunal judiciaire du lieu où demeure le défendeur (la banque) ou du lieu d’exécution du contrat (souvent le lieu de domicile de l’emprunteur).
L’assistance d’un avocat est fortement recommandée, voire obligatoire selon les montants en jeu, pour analyser la situation, qualifier juridiquement les manquements, chiffrer le préjudice et monter un dossier solide. L’avocat pourra engager une procédure pour demander au juge de prononcer les sanctions prévues par la loi :
- La déchéance du droit aux intérêts (totale ou partielle).
- L’annulation de clauses (clause d’intérêt en cas de TAEG erroné avant l’ordonnance de 2019, clause abusive…).
- L’octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi (par exemple, pour perte de chance liée à un défaut de mise en garde).
La prescription
Attention aux délais pour agir. L’action de l’emprunteur contre le prêteur pour manquement à ses obligations contractuelles ou légales (défaut d’information, TAEG erroné, devoir de mise en garde…) se prescrit par 5 ans (article 2224 du Code civil). Le point de départ de ce délai est le jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action. Pour un TAEG erroné, la jurisprudence considère souvent que ce point de départ est la date de conclusion du contrat si l’erreur était décelable à la lecture de l’offre, ou la date de la révélation de l’erreur si elle nécessitait une analyse plus poussée (Cass. 1re civ., 24 mars 2021, n° 19-21.944). Pour un défaut de mise en garde, le point de départ est souvent fixé au premier incident de paiement non régularisé révélant le risque d’endettement excessif (Cass. Com., 25 janvier 2023, n° 20-12.811).
Il est donc essentiel d’agir rapidement dès la suspicion ou la découverte d’un manquement.
Le dispositif de sanctions prévu par le Code de la consommation constitue un arsenal important pour la protection des emprunteurs immobiliers. Qu’il s’agisse d’un défaut d’information, d’une évaluation de solvabilité négligée ou d’un calcul de TAEG erroné, les conséquences pour le prêteur peuvent être significatives, allant jusqu’à la perte totale du droit aux intérêts. Connaître ses droits et les sanctions applicables permet à l’emprunteur de mieux se défendre face à d’éventuels manquements. Si vous pensez être victime d’une faute de votre établissement prêteur dans le cadre de votre crédit immobilier souscrit après octobre 2016, il est conseillé d’analyser précisément votre contrat et les documents fournis.
Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, n’hésitez pas à contacter notre cabinet d’avocats.
Sources
- Code de la consommation, notamment articles L. 313-1 et suivants (Dispositions générales crédit immobilier), L. 314-1 et suivants (TAEG), L. 341-1 et suivants (Sanctions civiles et pénales).
- Ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation.
- Loi n° 2017-203 du 21 février 2017 ratifiant l’ordonnance n° 2016-351.
- Ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019 relative aux sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global.
- Code civil (principes généraux des contrats et de la responsabilité).
- Jurisprudence de la Cour de cassation (Chambre civile 1 et Chambre commerciale).