L’affacturage expose l’affactureur à un risque juridique majeur : l’opposabilité des exceptions. Ce mécanisme permet au débiteur cédé d’invoquer contre l’affactureur des moyens de défense qui auraient pu être opposés au créancier initial. Cette réalité juridique complexifie le recouvrement et peut compromettre l’efficacité du financement.
Le principe et les limites de l’opposabilité des exceptions
Fondement juridique de l’opposabilité
Le principe nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet (nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en possède) fonde l’opposabilité des exceptions. L’affactureur, qu’il soit subrogé ou cessionnaire, acquiert la créance avec ses qualités mais aussi ses vices.
Ce principe découle directement des textes régissant les mécanismes de transfert de créances :
- Pour la subrogation : articles 1346 et suivants du Code civil
- Pour la cession Dailly : articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier
La jurisprudence confirme constamment ce principe. La Cour de cassation, dans un arrêt du 9 mai 1977, a clairement établi que l’affactureur reste exposé aux exceptions que le débiteur pouvait invoquer contre son créancier initial.
Catégories d’exceptions opposables
Les exceptions se divisent en deux catégories principales selon leur lien avec la créance :
- Exceptions inhérentes à la créance : Elles tiennent à l’existence, la validité ou l’étendue de la créance. Elles restent opposables quel que soit le moment où elles se révèlent.
Exemples :
- Nullité du contrat commercial
- Vice caché affectant les marchandises
- Inexécution totale ou partielle des obligations du vendeur
- Compensation légale antérieure au transfert
- Exceptions extérieures à la créance : Leur opposabilité dépend du moment de leur survenance.
Exemples :
- Compensation pour créances connexes
- Paiement effectué au créancier initial
- Remises accordées après cession
Pour comprendre pleinement les mécanismes de transfert sous-jacents, consultez notre analyse détaillée des mécanismes juridiques de l’affacturage.
Limites temporelles de l’opposabilité
L’opposabilité s’évalue à partir du moment précis du transfert. Ce moment correspond à :
- La remise de la quittance subrogative pour la subrogation
- La date portée sur le bordereau pour la cession Dailly
Seules les exceptions nées avant cette date frontière sont normalement opposables, sauf cas particuliers comme les créances connexes.
La notification au débiteur change aussi la donne. Pour la cession Dailly, après notification, seules les exceptions liées à des créances connexes restent opposables.
Les exceptions fréquemment rencontrées
L’exception d’inexécution
L’exception d’inexécution constitue le moyen de défense le plus fréquent. Le débiteur refuse de payer en invoquant un manquement du fournisseur :
- Défaut de conformité des marchandises
- Livraison partielle ou tardive
- Vices cachés
- Non-respect des spécifications contractuelles
La jurisprudence admet largement l’opposabilité de cette exception à l’affactureur. Un arrêt de la Cour de cassation du 19 novembre 2003 confirme qu’un défaut de conformité reste opposable à l’affactureur subrogé.
Cette question présente des spécificités dans le cadre international, comme l’explique notre article sur l’affacturage international.
La compensation
La compensation représente une exception majeure. Elle opère extinction des dettes réciproques à concurrence de la plus faible.
Trois scénarios peuvent survenir :
- Compensation légale antérieure au transfert : Toujours opposable car la créance est déjà éteinte
- Compensation légale postérieure au transfert : En principe non opposable
- Compensation pour dettes connexes : Opposable même après transfert
La Cour de cassation maintient une jurisprudence constante sur la connexité. Dans un arrêt du 7 mai 1987, elle a admis qu’une compensation pour créances connexes reste opposable nonobstant la subrogation intervenue.
Le paiement au créancier initial
Le paiement effectué au créancier initial (adhérent) après notification du transfert n’est pas libératoire. Le débiteur devra payer une seconde fois.
La jurisprudence reste stricte sur ce point. Un arrêt de la Cour de cassation du 15 octobre 1996 confirme que le paiement à l’adhérent après notification ne libère pas le débiteur qui devra régler l’affactureur.
La notification joue donc un rôle fondamental, comme le souligne notre analyse des conventions d’affacturage.
Les exceptions liées aux procédures collectives
Les procédures collectives génèrent des complications supplémentaires :
- Suspension des poursuites individuelles
- Interdiction des paiements
- Règles spécifiques de déclaration des créances
Ces règles impératives s’imposent à l’affactureur comme aux autres créanciers. Notre article dédié sur l’affacturage et les procédures collectives approfondit ces questions.
Stratégies juridiques de protection
Protections contractuelles envers l’adhérent
L’affactureur peut se protéger par des stipulations contractuelles lui permettant de se retourner contre l’adhérent :
- Droit de recours pour créance inexistante ou contestée
- Retenue de garantie
- Contre-passation en compte courant
- Cautionnements personnels des dirigeants
Ces clauses compensent le risque d’opposabilité des exceptions sans le supprimer. Elles déplacent le risque vers l’adhérent.
La retenue de garantie joue un rôle décisif. La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 octobre 2000, a précisé que l’existence d’une telle garantie ne libère pas le débiteur de son obligation fondamentale de payer sa dette.
Protections vis-à-vis des débiteurs
Plusieurs techniques permettent de réduire le risque d’exceptions opposables par les débiteurs :
- Utilisation de la lettre de change acceptée Si le tirage et l’acceptation interviennent avant la subrogation, l’affactureur acquiert la qualité de tiers porteur de bonne foi. Cette qualité le protège contre l’opposabilité des exceptions.
- Acceptation de la cession Dailly L’acte d’acceptation prévu à l’article L. 313-29 du Code monétaire et financier produit un effet radical : le débiteur renonce à opposer les exceptions.
- Reconnaissance de dette L’obtention d’une reconnaissance de dette du débiteur peut neutraliser certaines exceptions.
Notre cabinet accompagne régulièrement les entreprises dans la mise en place de ces solutions de protection juridique en matière d’affacturage.
Audits préventifs et monitoring des risques
La prévention constitue la meilleure protection. L’affactureur peut :
- Analyser la qualité des créances avant approbation
- Vérifier la solidité financière des débiteurs
- Contrôler l’exécution effective des contrats commerciaux
- Mettre en place des procédures d’alerte en cas de contestation
Ces mesures préventives réduisent considérablement le risque d’exceptions opposables.
Pour une vue d’ensemble sur l’affacturage et ses implications juridiques, notre guide complet sur l’affacturage offre une synthèse claire des principaux enjeux.
Recours à la médiation commerciale
La médiation permet souvent de débloquer des situations d’impayés liés à des exceptions :
- Intervention d’un tiers neutre
- Recherche d’une solution négociée
- Préservation des relations commerciales
- Évitement des coûts judiciaires
Cette approche résout efficacement les litiges liés à l’exécution des contrats commerciaux sous-jacents.
Conclusion
L’opposabilité des exceptions constitue un risque inhérent à l’affacturage. Elle peut compromettre l’efficacité du mécanisme et générer des contentieux complexes. Une protection efficace combine mesures préventives, protections contractuelles et outils juridiques spécifiques. Pour sécuriser vos opérations d’affacturage et prévenir les risques liés à l’opposabilité des exceptions, notre cabinet propose un accompagnement juridique personnalisé.
Sources
- Code civil, articles 1346 à 1348-2
- Code monétaire et financier, articles L. 313-23 à L. 313-35
- Cour de cassation, chambre commerciale, 19 novembre 2003 (défaut de conformité)
- Cour de cassation, chambre commerciale, 10 octobre 2000 (retenue de garantie)
- Cour de cassation, chambre sociale, 7 mai 1987 (compensation)